La négligence est un syndrome actuellement bien identifié dans le registre de la maltraitance. Elle se révèle par la carence de soins, un manque d’attention aux besoins de l’enfant, un défaut d’empathie des parents. La négligence touche en général tous les aspects de la vie du petit, tous ses besoins primaires (manger, boire, dormir, être stimulé, être aimé…). Souvent, elle se déploie sur plusieurs générations ; les parents ont eux-mêmes connu des carences qui les rendent moins adéquats dans leurs rôles parentaux.
Une négligence physique (nourriture, hygiène, habillement, sécurité, soins médicaux…) s’accompagne très souvent d’une négligence affective dont les conséquences peuvent s’avérer dramatiques. Cette négligence affective se traduit chez les parents par une distance, une absence de disponibilité émotionnelle, un trouble de l’empathie. Dès la naissance, les relations d’attachement précoce sont carencées ; l’enfant n’existe pas beaucoup dans la tête de ses parents, il n’expérimente pas la présence d’un adulte disponible, fiable et continu lorsqu’il est en détresse.
La négligence s’avère souvent chronique, se répète d’une génération à l’autre et concerne généralement tous les enfants de la famille. Les conséquences ne sont pas toujours visibles dans l’immédiat ou mal décodées ; l’enfant peut être dans une profonde détresse qui se développe à bas bruit. Ces enfants sont baignés dans un climat de « stress chronique » dont on sait aujourd’hui qu’il endommage le cerveau et provoquent des dégâts à moyen et à long terme ; ceux-ci touchent la croissance, les sphères cognitive, émotionnelle et relationnelle. Ils peuvent s’avérer irrécupérables si la négligence persiste dans le temps.
Comment repérer la négligence?
L’enfant négligé a souvent un aspect sale, le teint gris ou pâle, un air triste ; il peut présenter un retard physique de croissance ou des signes de maladies mal soignées. Au niveau relationnel, il peut être renfermé, fuir tout contact ou, au contraire, se montrer agité ou agressif. Avec ses pairs, les relations sont plutôt difficiles, dans l’évitement ou l’agressivité. Le repli sur soi devient une forme de protection contre tout risque de rejet ou de manque affectif. Ces enfants vivent une insécurité permanente, supportent mal toute frustration et manquent de structuration.
La temporalité de l’enfant n’est pas la même que celle des parents
Le développement d’un enfant suppose la rencontre avec des adultes disponibles, stables et sécurisants au sein d’un milieu stimulant. Des carences répétées, un climat affectif négatif ou froid qui perdure dans le temps s’avèrent délétères et vont entamer son capital de développement. Les parents ont souvent eux-mêmes connu une enfance négligée et ont peu conscience des besoins d’un enfant ; son arrivée va les confronter à des difficultés dont ils vont le rendre responsable. Les carences des parents rendent ceux-ci souvent très méfiants dans les relations avec leur famille d’origine, les amis et professionnels. Ce sont des adultes fragiles, vulnérables ; les apprivoiser, respecter leur rythme est la seule issue possible pour tisser petit à petit une relation de confiance. Comment prendre ce temps avec eux alors que l’enfant grandit si vite ?
Comment intervenir ?
Les parents sont très rarement demandeurs d’aide ; c’est l’état de l’enfant qui attire l’attention de l’entourage. C’est le professionnel qui fait le point sur l’état de l’enfant, sur ses besoins, satisfaits ou non, sur la part que les parents peuvent apporter et celle qui devra venir de l’extérieur. Seul un travail de réseau, tissé avec la famille, offre un contenant qui permet d’assurer de meilleures conditions au développement de l’enfant.
Le réseau remplit plusieurs fonctions:
L’étape d’évaluation des carences et des ressources familiales est essentielle ; elle permet d’identifier les besoins propres à chaque situation. La mise en place du réseau vient palier les manques parentaux, sorte de « parentalité partielle », où la place des parents est reconnue en fonction de ce qu’ils sont capables d’apporter. L’aide est concrète et pratique, adaptée aux besoins de l’enfant et constituant un soutien aux parents. Ce type d’intervention est de longue durée, sans réel changement dans les comportements parentaux ; même si la négligence physique disparaît, la négligence affective risque de se poursuivre. Une halte-garderie, une crèche, parfois un placement en institution est nécessaire pour protéger et stimuler l’enfant.
Les changements se marquent à la génération suivante ; ce qui décourage les professionnels s’ils n’en ont pas conscience.
L’autre fonction importante du réseau est le soutien des professionnels. La famille se montre souvent dans un processus d’échec, apathique ou exigeante. L’ampleur du problème ne permet pas à un seul service de prendre tout en charge ; la pluridisciplinarité est essentielle dans l’évaluation de la situation et dans les réponses à apporter. Les changements difficilement acquis disparaissent dès que l’aide est arrêtée. Les changements visibles sont très lents ; il vaut mieux viser de petits objectifs plutôt qu’un changement rapide et global. Des réévaluations régulières entre professionnels sont nécessaires et un placement peut être envisagé si l’aide ambulatoire s’avère insuffisante.
L’entraide entre professionnels évite le découragement souvent présent dans ce type de prise en charge ; elle les aide à persévérer dans leur travail avec l’enfant, tout en offrant un soutien aux parents.