Le désaccord entre deux personnes fait partie de la vie, il souligne la position singulière de chacun et la nécessité de faire avec de l’autre, du différent.
Ainsi quand une dispute surgit entre les parents, il peut être vraiment constructif pour l’enfant témoin de la scène de voir qu’elle peut se résoudre par la parole dans le respect de l’autre. L’enfant qui vit cette situation trouve alors une occasion de faire l’expérience de régler un conflit par la parole.
Mais, quand elle relève d’une dynamique de non-respect, de disqualification voire de rapport de force, la dispute parentale est préjudiciable à l’enfant. Qu'il s'agisse de coups, d’attitudes ou de mots, l’expérience clinique montre que l'enfant qui vit dans un environnement de violence est en grande souffrance.
L’enfant dans la tourmente
Exposé malgré lui à un climat de violence « ordinaire », l’enfant intègre un certain mode de résolution du conflit par la loi du plus fort, ce qui risque de le mettre à mal dans ses relations sociales futures, scolaires et professionnelles.
Son processus de développement est également fragilisé: en fonction de son âge, du climat général qui l’entoure, il peut vivre certaines tensions comme très violentes et se trouver pris dans des situations face auxquelles il est sans défense.
Embarqué dans cette tension qui monte, différentes « issues » se présentent à lui : soit l’enfant est témoin, tétanisé et hébété, sans résistance, absorbé dans la colère de ses parents.
Soit il est partie prenante du conflit, au risque d’en devenir l’objet tout désigné et d’en subir les représailles directes.
La parentalité fragilisée
Dans ces moments, les parents pris dans leur tourmente, occupés par leur conflit se rendent indisponibles pour l’enfant. L’adulte n’a pas la possibilité d’accueillir l’enfant (ni même de le prendre en considération) quand il est lui-même englué dans un conflit. Or le petit enfant a besoin de pouvoir compter sur ses parents pour trouver de l’apaisement quand il est pris dans un climat qu’il vit comme stressant, violent.
L’enfant est alors perdu, « désorganisé » dans ses repères. Ses parents ne lui offrent plus le contenant protecteur qui lui permettrait de faire face à l’évènement. Le petit enfant peut alors être submergé par une angoisse d'insécurité, par la peur de perdre son univers familial. Toute son énergie est mobilisée par la gestion qu’il a à faire du climat ambiant au détriment de sa construction propre. De plus, par crainte de relancer le conflit, il ne pourra revenir sur la situation traumatique avec un de ses parents, ce qui pourrait être un moyen pour en prendre distance.
La répétition d'expériences semblables, sans réparation, peut l'amener à ne pas pouvoir faire face, par la suite, de manière organisée à d’autres expériences de stress susceptibles de mobiliser son système d'attachement.
Plus grand, l’enfant pourra être amené à prendre position dans le conflit entre les adultes, rentrant de ce fait dans des alliances illégitimes avec l’un de ses parents, contre l’autre, parfois pour venir en aide ou protéger le parent en difficulté.
De telles alliances au sein de la famille sont problématiques. Elles amènent l’enfant à ne plus pouvoir être dans une communication circulaire entre lui et ses parents et elles le conduisent dans une place où il concentre son énergie et son attention au profit de la régulation du conflit entre ses parents. Dans une stratégie adaptative, il pourra par exemple tenter de décentrer ses parents de leur conflit : en se montrant difficile, pour détourner l’attention de ses parents et les concentrer sur cette difficulté (qu’il présente au « détriment » de leur conflit).
Entre dyade et triade
Différentes études ont souligné que pour que l’enfant puisse se développer au mieux affectivement, il a besoin d’une alliance « suffisamment bonne » de ses deux parents.
Ces études montrent que, très précocement, le bébé est sensible aux niveaux de coopération, d’alliance, de plaisir qui animent la relation entre les adultes qui s’occupent de lui.
L’échange au sein d’une famille se construit donc bien avant le langage verbal. Historiquement, le focus a d’abord été mis sur la dyade, la parentalité mère-bébé et a beaucoup appris à propos de la relation à deux. L’intérêt s’est ensuite porté sur l’incidence du second parent sur le développement du psychisme de l’enfant. La parentalité père/bébé, la co-parentalité père/mère portent notre attention sur les effets potentiels et positifs de la triade père/mère/enfant sur le développement de l’enfant. Cette dernière implique une notion d’équipe, une alliance, un degré de coordination entre les parents pour élever un enfant dans un environnement qui lui permettra un développement affectif harmonieux.
D’autres recherches montrent les effets de ces premières expériences relationnelles triadiques sur les liens sociaux ultérieurs, dressant des liens significatifs entre le climat familial de la première année et le développement de l’enfant vers trois à cinq ans.
Et ceci n’est cependant pas une mince affaire dans le quotidien des familles. Car on sait combien les premiers mois de la vie, voire les deux premières années de vie de l’enfant, mettent à dure épreuve le couple parental. L’arrivée de l’enfant dans le couple les oblige à réaménager leur conjugalité et à construire de nouveaux repères intégrant la dimension parentale; ce qui est un fameux challenge auquel chaque parent a à faire face.
Et pourtant, on peut lire à travers les études qu’un climat chaleureux dans la famille durant la première année de vie de l’enfant contribue de manière significative à favoriser le développement de la sociabilité de l’enfant avec ses pairs à l’école. En revanche, une alliance coparentale hostile pendant la première année peut amener au développement de troubles du comportement.
Le climat au sein même de la famille joue donc un rôle clé dans le développement affectif de l’enfant. La manière dont se déroule la coopération quotidienne entre les parents et leur ajustement à leur enfant demeure fondamentale.