[Extrait de livre] Peut-on encore toucher les enfants aujourd'hui?

Les situations éducatives

Les situations éducatives sont l’objet de rapprochements corporels dans de nombreux cas  : dans les pratiques sportives, le maître-nageur tient l’enfant qui commence à apprendre la natation pour le rassurer et lui faire savoir qu’il peut compter sur lui pour ne pas se noyer. Le professeur de gymnastique est obligé de parer aux accidents toujours possibles lors d’exercices particulièrement périlleux. Le moniteur de judo est amené à montrer telle ou telle prise dans le cadre de son enseignement. De la même manière dans les arts, le professeur de danse peut corriger telle ou telle attitude de son élève avec ses mains. Le professeur de musique apprend à l’enfant à bien tenir ses doigts sur le piano ou sur le violon, à rythmer sur son corps, à tenir son instrument de telle ou telle manière. À l’école, l’instituteur de « maternelles » passe beaucoup de son temps à porter, tenir, retenir les enfants, il les accompagne aux toilettes, il les console pendant la récré lorsqu’ils sont tombés ou ont été poussés.

Toutes ces situations d’éducation sont propices aux rapprochés corporels et le toucher du corps de l’enfant fait partie des nécessités d’un certain nombre d’expériences éducatives. Là encore, il n’est pas possible d’édicter un guide des touchers possibles dans de telles circonstances. En revanche, il est utile de revenir à ce qui est écrit plus haut, la nécessité pour l’adulte de n’avoir recours à ces touchers éducatifs que lorsque d’autres possibilités ne sont pas ou plus utilisables.

Les pratiques de l’imitation sont souvent préférables au toucher intrusif, et parfois le toucher sans avoir eu recours à l’imitation au préalable risque d’être vécu par l’enfant comme une contrainte qui déclenchera chez lui des réactions de rejet ou d’opposition qui deviennent dès lors anti-éducatives. Nul doute que la façon dont les parents ont eux-mêmes conduit ces pratiques du toucher lors du développement de leur enfant est pour beaucoup dans la manière dont il comprendra les touchers « professionnels » des éducateurs auxquels il aura affaire dans les activités sportives et artistiques évoquées. En effet, certains parents utilisent beaucoup cette forme de communication qui se « désexualise » au cours du développement au fur et à mesure que l’enfant grandit, et cet enfant ne sera pas dans la même position qu’un autre qui vit dans un milieu familial dans lequel ces touchers ont été très rapidement abandonnés au profit d’une communication d’un autre ordre, soit verbal, soit par le regard.

Dans ce cas, les touchers « éducatifs » pourront être vécus et interprétés par l’enfant de façon sensiblement différente. Il est très important pour le professionnel de ressentir et de comprendre les réactions de l’enfant dans ces circonstances afin de l’adapter à leur mode de communication de manière sereine.

La survenue de la pandémie a profondément bouleversé les attitudes éducatives des professionnels en instaurant des distances minimales entre les personnes de façon à éviter la contagion virale. Bien sûr, les consignes ont varié avec les hésitations concernant la contagiosité des enfants, objet de points de vue scientifiques et techniques variables et évolutifs.

Mais ce qui est apparu absolument nécessaire au fur et à mesure de l’évolution des connaissances et des pratiques, c’est la régulation en équipe. En effet, dans de nombreuses situations, les professionnels ont été amenés à toucher les enfants malgré les recommandations dissuasives. Pour les accompagner, les protéger, les retenir de divers dangers. Les enfants eux-mêmes ont pu réagir à ces interventions en questionnant avec leurs capacités à le faire (en fonction de l’âge, de la situation, de l’étonnement…) les adultes concernés. 

Dans ces cas, et c’est d’ailleurs valable pour toute situation de rapprochement avec un enfant, il y a lieu d’en parler en équipe afin de se faire aider par l’avis des autres dans des circonstances où l’on sent que l’enfant nous pousse à jouer un rôle qui ne serait pas le nôtre. L’autodiscipline qui consiste à évoquer en équipe une situation dans laquelle je me sens en difficulté avec un enfant est une sauvegarde pour la qualité de mon exercice professionnel. Il est très important que les responsables des équipes facilitent ces prises de paroles à plusieurs, afin de développer une culture du collectif là où l’enfant essaye de nous amener à une relation exclusive. Nos capacités éducatives ne peuvent qu’en bénéficier grandement.

In Delion P., Peut-on encore toucher les enfants aujourd’hui ?, Temps d’arrêt, Yapaka, p.39-41, juin 2021

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