La croyance populaire soutient l'idée que « les enfants maltraités deviennent des parents maltraitants ». Ce propos repose sur le constat que les parents maltraitants ont souvent souffert eux-mêmes de maltraitance, ont vécu un passé douloureux ou des relations difficiles avec la génération précédente.
Pourtant ce phénomène de la reproduction systématique de la violence est loin d'être généralisé et n'est certainement pas scientifiquement prouvé. Bon nombre d'adultes qui, enfants, ont souffert de parents violents ou abusifs, sont néanmoins devenus des pères, des mères responsables et fiables.
En abordant la parentalité, la plupart des hommes et des femmes se demandent s'ils pourront s'occuper valablement de leurs enfants, s'ils pourront être des parents différents de ceux qu'ils ont eus, surtout si ceux-ci étaient toxiques et destructeurs.
Beaucoup de femmes enceintes revisitent leur passé et se questionnent sur la manière d'apporter à leur enfant attention, protection et tendresse sans être étouffantes et sans faire peser leurs angoisses ou soumettre à leur violence potentielle. Le désir de bien faire est là et l'angoisse de ne pas y arriver est, elle aussi, souvent présente. Se poser ces questions, c'est déjà chercher à engager des changements.
La capacité d'analyser de façon réaliste les liens à ses propres parents (ni en les diabolisant, ni en camouflant les souffrances) permet de sortir du soi-disant « sillon tout tracé » de la répétition. Sans cela il risque d'y avoir un « collage » au triste modèle qu'ont été les parents et une répétition des modes relationnels vécus dans l'enfance. Ce travail ne se fait pas seul ; il se réalise et se poursuit tout au long de la vie dans les échanges et les relations avec les autres: le conjoint, la fratrie, les amis, les professionnels autour de la grossesse et de la naissance, et d'autres plus spécialisés éventuellement.
Dans les familles où l'histoire se répète, le problème semble être que les générations amènent aux suivantes la « note » non réglée avec la précédente et font ainsi « payer » à leurs enfants le malheur de leur propre enfance. Et cela n'est pas juste ; imaginons que, revenant chercher sa voiture au parking, un homme la retrouve abimée. Le fautif n'a pas laissé ses coordonnées. Furieux et énervé, cet homme heurte à son tour par mégarde un autre véhicule. Il s'en va, lui aussi, sans laisser nom et adresse, estimant qu'il n'a pas à payer deux fois. Le préjudice qu'il a subi ne lui donne pas le droit de léser à son tour quelqu'un d'autre. Et s'il dispose d'une légitimité à être en colère, cela ne lui donne pas le droit de faire payer sa faute à quelqu'un qui n'y est pour rien.
Le mécanisme agit implicitement dans les familles maltraitantes : les parents qui n'ont pas pu faire entendre leur malheur ou être reconnus dans leur souffrance par leurs propres parents ou par d'autres adultes, attendent de leurs enfants de réparer ce qu'ils ont enduré. Or ceux-ci n'en ont pas les moyens. Placés dans une telle position impossible, les enfants ne peuvent qu'être blâmés, critiqués, jugés, réprimandés, donc maltraités à leur tour. Les enfants ne peuvent tenir un rôle de soignant à l'égard de leurs parents. Attendre d'eux qu'ils se soucient de la dépression parentale, qu'ils canalisent les colères et la violence de leurs parents, surveillent leurs passages à l'acte suicidaire ou servent d'objet sexuel revient à leur voler leur place d'enfant et à abîmer radicalement leur confiance en l'adulte et en eux-mêmes.
Ce n'est pas auprès des enfants que les adultes blessés doivent se réfugier et solliciter de l'aide. Voilà pourquoi l'attention et la solidarité à porter aux parents maltraitants sont si nécessaires et certainement plus réparatrices que le blâme ou l'exclusion. Par l'attention accordée au parent, le professionnel aide peu à peu ce dernier à prendre en compte ses responsabilités d'adulte, à s'identifier à son enfant et à lui laisser sa place pour éviter de lui faire tenir un rôle qui ne lui revient pas.