Les réseaux sociaux, mieux vaut ne pas s’y aventurer avant 12 ans parce qu’avant cet âge, l’enfant a besoin d’explorer et d’expérimenter la complexité du monde réel. Il a besoin d’éprouver ses relations sociales, de tester ses comportements et les réactions qu’ils suscitent, sans la distance créée par les écrans.
Les réseaux sociaux, utilisés tant par les adolescents que par les adultes, ont modifié le rapport aux autres, au temps, à l’espace, aux apprentissages… S’ils constituent de fabuleux moyens de rester en contact à travers le monde, de déployer la créativité, d’échanger, de s’informer, de rassembler, de mobiliser… ils sont également vecteurs de nombreuses questions aiguisées par la réalité adolescentaire.
Les médias parlent généralement des réseaux sociaux et des technologies pour en dépeindre les risques et dérives qu’on peut y rencontrer. Les mauvaises expériences sont épinglées, dramatisées, généralisées. Ce ton alarmant, souvent teinté d’un « c’était mieux avant », n’aide pas à comprendre ou à entendre ce que les adolescents font et vivent sur la toile.
Réseaux sociaux ?
Les adolescents y parlent, échangent des photos, vidéos, y revendiquent leurs opinions, partagent leur quotidien... Leur engouement pour Tik Tok, Snapchat, Instagram, Facebook, YouTube, Whatsapp… découle de leur désir et de leur besoin vital de liens sociaux. Les photos, vidéos, statuts, profils leur permettent d’exprimer, de tester les multiples facettes d’eux-mêmes, de se sentir faisant partie de la société... Ils se racontent, jouent de leur identité, mesurent leur popularité, évaluent leur place dans le groupe de pairs (et au-delà)… Pour se construire, les adolescents ont besoin des autres, de leur regard réel et virtuel. Cela leur permet de se comprendre eux-mêmes, statuer de leur place dans le social…
Leur besoin vital d’être reliés à leurs pairs, leur soif de liberté, d’évasion, d’émancipation se heurtent parfois aux contraintes - parentales, économiques, géographiques, sociales - imposées dans leur vie quotidienne. Leurs parents, soucieux de les protéger des mauvaises rencontres, des mauvaises fréquentations préfèrent les savoir dans leur chambre plutôt que dehors. Alors certains s’échappent de leurs quatre murs en ouvrant la fenêtre des réseaux sociaux.
L’hyper connexion et ses conséquences
Depuis la généralisation des smartphones, la connexion aux autres est potentiellement permanente. Les ados sont constamment au courant de ce que leurs amis font, ils se montrent, ne veulent rien rater, commentent, likent… Cette hyper connexion peut vite devenir envahissante dans leur vie quotidienne et leur psychisme et générer une véritable fatigue mentale. Les réseaux sociaux ont modifié la manière de vivre l’instant présent. Prendre des photos, mettre en scène ce qu’on vit, le partager prend parfois plus d’importance que le moment vécu. Au risque que l’immédiateté, l’instantanéité ne supportent plus le délai, l’attente…
La course aux likes, à la reconnaissance par les autres de leur appartenance au groupe tout autant que de leur singularité, risque parfois de se heurter à la réalité : désintérêt d’une publication, commentaires négatifs, moqueries… et peut engendrer un profond sentiment de solitude. Ce que les réseaux leur renvoient peut les rendre vulnérables, fragiliser leur estime d’eux-mêmes. La connexion permanente englue ceux qui subissent déjà humiliations et insultes à l’école. La violence ne s’arrête plus aux portes de l’école, elle perdure quel que soit le lieu. Difficile alors de reprendre son souffle, de se sentir à l’abri une fois à la maison.
La barrière de l’écran
Les réseaux sociaux permettent de tisser des liens autrement : garder contact avec des proches éloignés, faire partie de communautés partageant un intérêt commun, une passion…
Mais, la distance créée par l’écran peut libérer, débrider les propos et comportements… et parfois pousser, dans l’instantanéité du moment, à faire des choses dont les conséquences ne sont pas mesurées : partager des photos/vidéos intimes, insultes, humiliations de l’un ou l’autre camarade, défis… Pour certains, l’écran crée une distance rassurante entre eux et les autres qui leur permet de rentrer plus facilement en contact. Ils y trouvent un refuge aux difficultés rencontrées dans la vie quotidienne, à leur angoisse d’être en contact « en chair et en os ».
Un accompagnement dans la découverte des réseaux sociaux, des discussions avec les ados à propos de ce qu’ils y font, y vivent, y voient… est donc une nécessité.
Rôle des adultes
Tous les adultes reconnaissent que la thématique des réseaux sociaux est un des nombreux sujets conflictuels à aborder avec un adolescent. Et si certains ados témoignent d’une maîtrise technologique – qui se révèle parfois très superficielle -, il revient à l’adulte de questionner, s’intéresser, provoquer la discussion autour de ce qui se passe et de ce que vivent les ados sur les réseaux sociaux. Pas besoin d’être expert en technologie pour parler intimité, consentement, esprit critique, valeur du temps passé sans écran… Comme pour les sorties, les ados ont besoin d’un cadre autour de l’utilisation des écrans : moments sans écrans (repas, un jeu, une sortie…), minuteur pour se rendre compte du temps passé derrière l’écran… Et à l’adulte de s’autoriser de retirer le smartphone que ce soit durant la nuit, pendant les moments d’étude… Pour donner du poids à la parole, montrer l’exemple se révèle indispensable.
Les ados sont parfois étonnés par l’indifférence que génèrent leurs comportements sur le web. Des adultes, amis avec eux sur Facebook, restent indifférents à ce qu’ils y postent sous prétexte de pudeur ou de respect d’intimité. Alors que les adolescents sont bien souvent en attente d’une réaction, preuve qu’ils existent pour l’autre.
L’adolescent pour se construire a besoin de défier les adultes, de tester les limites, ce qui lui permet de sentir leur solidité, leur cohérence, leur créativité et qui ils sont au fond d’eux. L’adolescent doit percevoir une certaine empathie, sentir dans ce mouvement de confrontation qu’il peut aussi venir se confier à un adulte lorsqu’il a fait une mauvaise expérience que ce soit sur la toile ou ailleurs. Beaucoup traversent des périodes de honte parce qu’ils se sont fait avoir, manipuler... sur les réseaux sociaux. D’autres encore sont englués par telle ou telle image qu’ils ont vue et restent cloitrés dans le silence pensant qu’ils sont les seuls à qui cette situation arrive.
Notre aptitude à ouvrir ces questions avec les ados passe aussi par notre capacité à interroger nos propres usages des écrans.
Illustration : Quentin Van Gysel