[Texte] Être aux côtés des enfants dans leur processus de construction identitaire

Pour une identité durable
Processus mobile tout au long de la vie, l’identité se nourrit d’ingrédients  biologiques, sociologiques, psychologiques, philosophiques, culturels … Elle est complexe et englobe notre vie familiale, professionnelle, nos passions, les projets qui nous animent. A contrario de ce qui circule parfois dans l’espace social aujourd’hui, l’identité ne se résume ni à la sexualité, ni à l’identité de genre. Autrefois éminemment intimes et individuelles, ces questions, préoccupations s’ouvrent désormais collectivement et publiquement.
Dans nos sociétés contemporaines à présent, l’adulte peut se penser à partir d’une autonomie entre le biologique (le sexe) et la culture (le genre). Ce vécu de genre est sous-tendu par des dimensions psycho-sociales et culturelles. La limite biologique de notre condition humaine se voit ouverte à tous les possibles, à toute sexualité, à toute forme d’identité de genre qui soutient l’adulte dans son affranchissement. Le décloisonnement de la binarité masculin/féminin et cette liberté à se penser en appui sur la culture est source d’émancipation.
Cette réalité contemporaine interroge toutefois notre responsabilité d’adulte pour accompagner les enfants qui grandissent, se construisent à leur rythme par tâtonnements, par allers-retours. Ils ouvrent toutes les portes, s’enrichissent de chacune des expériences vécues et comprennent, ressentent petit à petit leur singularité.

L’enfance, le temps de l’identification
Le temps de l’enfance est un temps aux identifications bouillonnantes. Identifications à l’autre du même âge, aux adultes, aux personnages de dessins animés, … l’enfant glane de multiples ingrédients dans son environnement proche et plus largement dans le monde ambiant. Pour ce qui relève de son intimité, dès sa naissance, le bébé part à la découverte des différentes parties de son corps. Progressivement, l’enfant prend conscience de son corps,  de son sexe et de la dimension genrée de celui-ci.  Sa curiosité le porte à visiter sa sexualité et les normes afférentes. La question de la différence des sexes est particulièrement en jeu durant l’enfance. En appui sur cette différence, dans une logique pourrait-on dire binaire, l’enfant joue en s’appropriant avec souplesse toutes les dimensions identitaires : sexe et genre, relation à soi et à l’autre, relation aux générations et au monde.
Par le jeu, la mise en scène, le faire semblant, l’enfant se découvre à lui-même. Il intègre les normes ambiantes, les imite, les scrute, les interroge tel ce petit garçon qui  met du vernis à ongles à l’image d’un monde environnant où coexistent normes traditionnelles et normes non genrées. L’enfant interroge comment l’autre s’en est sorti telle cette petite fille qui demande à son papa comment il faisait quand il était une petite fille. L’enfant se prête au jeu des possibles, à la mise en scène dans une fluidité où rien n’est figé. Il est libre, interroge les énigmes de la vie, les origines, les normes ambiantes. « Et si j’étais un peu plus ceci, un peu moins cela … »
Parfois, en tant qu’adulte, nous sommes désarçonnés par les jeux, questions et malaises de l’enfance. Tel Ahmed qui demande désormais à porter des robes, Clément qui veut qu’on l’appelle Wendy, Clara qui voudrait être un garçon  …  Quelle place accorder à ces mouvements ?
Dans ce processus de tâtonnements et d’éprouvés, l’enfant expérimente aussi  le malaise, l’inconfort et le désir d’être l’autre, d’être comme l’autre. D’autant plus que ce désir se focalise toujours sur ce que l’autre possède et le plaisir qu’il y trouve. À la crèche, les tout-petits convoitent le jeu de l’autre non pour posséder l’objet mais pour saisir le plaisir que l’autre semble en retirer. Ce désir tellement humain d’avoir tout pour être tout… et inversement. Ce renoncement est un chemin que nous empruntons tous, tout au long de notre vie dans ses différentes sphères. Et l’enfance est traversée par ces mouvements difficiles qu’il revient à l’adulte d’accompagner en laissant à l’enfant le temps de visiter tous ces éprouvés, d’apprivoiser son incomplétude,  en contenant ces vécus sans les évacuer, sans les banaliser, sans les obstruer ni les nier.
Entendre les tâtonnements et la recherche de l’énigme de soi propre à l’enfance et même son malaise nous sollicite non sans mal.  Comme adulte, il nous appartient de faire l’effort de ne pas les interpréter dans une visée déterministe, figée. D’autant que dans sa quête identitaire soutenue par ses expériences, l’enfant se fait à la fois le reflet de son monde intérieur mais joue aussi en miroir les interrogations du monde, en ce compris les angoisses des adultes. 

L’adulte, le temps de l’identité
A l’inverse de la sexualité de l’enfance qui est exploratoire, la sexualité adulte est qualifiée de sexualité génitale. Elle est aujourd’hui pensée hors de la fonction reproductive et en lien avec l’identité de genre.  La sexualité de l’adulte se réalise au travers de ces identités multiples de manière fluide et mobile tout au cours de la vie. 
Un enseignant qui se vernit les ongles, une éducatrice à la voix grave qui porte la barbe… seront sources d’interrogation, d’émerveillement, d’identification à penser avec les enfants. Cette maman devenue un homme, cette femme enceinte à l’apparence d’un homme …  sont des réalités à inclure dans nos échanges avec eux au gré de leurs questions, de leurs interrogations des énigmes de la vie.
Mais, le temps de l’identité de l’adulte ne s’applique pas au temps de l’enfance qui  joue l’identification encore et encore. Aussi, voir l’enfance au travers de notre seul vécu d’adulte ou de notre seule projection d’une sexualité génitale et mature l’enferme sans lui laisser le temps de s’approprier, de jouer, d’explorer, de sentir ce qu'il désire, de douter, d'essayer encore, d'apprendre par essais et erreurs.... à son rythme.

En tant que professionnel
Cette fluidité de penser au-delà des normes, au-delà  des singularités nous porte à tenir une position d’ouverture et inclusive dans notre démarche éducative et d’accompagnement des enfants, en appui sur notre équipe et notre institution.
Accueillir avec bienveillance les jeux, les interrogations, les demandes des enfants voire les malaises relève de notre responsabilité d’adulte, professionnel et parent. Pour l’adulte, les mots  qui accompagnent seront toujours imparfaits, incomplets, fragiles parfois.  Pour l’enfant chercheur des énigmes de la vie, la théorie qu’il se crée sera toujours à remettre sur le métier parce qu’elle est basée sur une grammaire forcément partielle. Solitairement, il essaie d’élaborer encore et encore à partir de ce que les adultes lui transmettent, d’explications anatomiques, d’informations préventives... Sans les anticiper, sans les réprimer,  toute question de l’enfant, mais aussi tout évènement de son quotidien, sera l’occasion d’interroger avec lui, de l’accompagner dans son tâtonnement. Dans le dialogue, nous lui transmettrons peu à peu la capacité à supporter la vulnérabilité, l’incomplétude inhérente à notre condition humaine.

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