L’enfant engrange, dans son environnement quotidien, informations et expériences qui alimentent ses représentations de la sexualité : auprès de ses parents et de la manière par exemple dont ils préservent son intimité, auprès de ses pairs dans la découverte de la différence des sexes, dans les médias, la publicité…
Une société hypersexualisée qui surexpose dans l’environnement social nudité de corps parfaits et désirables, selfies aux pauses sexys, enfants apprêtés comme des adultes …contribue à brouiller les repères et à créer une confusion dommageable chez l’enfant. Car l’enfant qui grandit dans cet espace public y est confronté et garde ces images comme repères et modèles d’identification pour se construire. L’enfant est ainsi exposé de façon précoce et récurrente à une sexualité adulte bien différente de ses repères propres et représentations en cours de construction.
Le caractère singulier de la sexualité infantile relève de la découverte globale de son corps. Il s’agit pour lui, dans un premier temps, de découvrir son corps, puis de découvrir celui de l’autre, dans un certain plaisir et parfois une excitation. La responsabilité de l’adulte est de contenir cette excitation de l’enfant, et de baliser intimité et pudeur.
La sexualité se construit dès les premiers jours
Comment garder la juste distance et éviter de regarder la sexualité des enfants au seul prisme de la sexualité adulte ? Comment comprendre que la sexualité se construit dès les premiers jours au travers de toute expérience, même hors du génital ? Tel le bain qui procure au bébé sensations, excitation, plaisir mais aussi déplaisir dans la découverte de son propre corps. L’attention du parent qui le lave, embrasse sa peau douce, maintient une certaine réserve qui respecte l’enfant. La retenue du parent à embrasser certaines zones permet au bébé d’intégrer la limite et d’intérioriser peu à peu intimité et pudeur. La retenue de l’adulte contient l’excitation ambiante et permet à l’enfant de sentir les limites qu’il ne connait pas encore.
Les jeux sexuels de l’enfant sont pour lui l’occasion d’une exploration pour grandir, apprendre la pudeur, le respect de soi et de l’autre. Expliquer à l’enfant que telle conduite, tel jeu n’est acceptable que dans l’intimité, seul pour soi-même, inacceptable en public et éventuellement préjudiciable aux autres enfants relève de la responsabilité de tout adulte. La frontière générationnelle met l’adulte dans une position légitime pour donner un cadre qui contient : interdits, réassurances, pare-excitation, limites apaisantes.
L’éducation à la sexualité et à l’intime
L’éducation à l’intime démarre au cœur de la vie en famille, en appui sur les valeurs et repères des parents, dans toute expérience quotidienne avec la fratrie, les pairs et peu à peu dans les premiers lieux de socialisation. Par exemple, respecter qu’un enfant veuille être seul dans la salle de bains, même si la famille a plutôt tendance à laisser les portes ouvertes, participe à renforcer la construction de sa pudeur et de son intimité.
Si chaque famille dispose de ses propres codes, on sait que ce n’est pas l’exigüité de l’espace de vie qui détermine un cadre respectueux ou intrusif de l’intimité de l’enfant. L’intimité repose sur la capacité des adultes à poser les repères du respect de chacun et à imprimer les relations entre chaque génération.
En relais et en complémentarité (parfois en suppléance) avec les parents et la famille, évoquer l’intimité et la sexualité fait partie de nos missions de professionnels et d’éducateurs. Tout événement dans le collectif entre enfants et adolescents peut en être la motivation. Une dispute entre enfants quand l’un d’eux oblige son camarade à poursuivre un jeu alors que celui-ci ne le souhaite pas sera l’occasion d’explorer les nuances du consentement …
Une propagation de sextos, nudes entre ados sera l’occasion pour l’école (et sa responsabilité éducative) de faire rappel à la loi quant à l’interdit de diffuser ce type d’image, et d’ouvrir un débat sur les notions d’intimité, de responsabilité (tant celui/celle qui a envoyé l’image que celui/celle qui l’a partagée), de consentement, d’exhibition, de frontière privé/public, d’image de soi…
Mettre en place des espaces de parole pour ouvrir les questions de sexualité et d’intimité est utile pour tous et particulièrement pour les enfants et adolescents quand elles ne sont pas abordées en famille. À la puberté, le non-dit est particulièrement difficile à vivre et peut avoir des conséquences sur l’équilibre de l’adolescent, provoquant parfois blocages ou passages à l’acte transgressifs.
Tout débat respectueux du rythme de développement de l’enfant et de l’adolescent, tout espace de parole qui accompagne leurs questions sans les anticiper relève de notre responsabilité d’adulte. Plus encore que des espaces d’information, il s’agit de transmettre comment chacun, en ce compris l’adulte, compose avec toutes ces questions et en aborde les nuances. Il s’agit par-là d’élaborer les questions, d’en ouvrir (un peu) l’énigme, d’en contenir l’excitation par une mise en mots et en pensée qui évitera justement les passages à l’acte redoutés par certains adultes.
L’importance de parler avec les enfants et de surcroît avec les jeunes a mené à la mise en place de l’Éducation à la Vie relationnelle, affective et sexuelle (EVRAS - circulaire de 2013). Là aussi est inscrite la nécessaire continuité d’une éducation à la vie affective de l’enfance jusqu’à l’âge adulte. Il est aussi question, dans ce domaine, d’importants enjeux d’alliance parents/écoles.
Contenir la sexualité repose sur tout adulte
Sexualité, intimité, pudeur, relation affective…engagent aussi la notion de consentement. Par exemple, photographier un enfant à tout bout de champ d’autant plus qu’il manifeste sa gêne ou son désaccord lui sera préjudiciable. En se vivant l’objet du regard de l’autre, il peinera à devenir sujet de son propre désir et de son avis/consentement.
On voit bien que la question sexuelle est vaste et que pour chacun d’entre nous, elle reste un mystère à interroger toute la vie. Notre responsabilité d’adulte (même si elle se décline différemment selon qu’on soit à l’école, dans un club de sport ou encore dans un mouvement de jeunesse) nous place dans la position inévitable de dialoguer ces sujets avec les enfants et les ados. Notre malaise est parfois au rendez-vous et sera une occasion de (se) le dire. En parler avec nos collègues peut être une piste à mobiliser. Le respect de la distance générationnelle permet de penser, accompagner, baliser et contenir la sexualité de l’enfant.