[Livre] Comme une tombe. Le silence de l’inceste

Le silence comme emprisonnement

Le silence dans l’inceste est d’abord et avant tout à entendre comme emprisonnement, essentiellement par l’imposition qui y a présidé. Accompagnant l’acte, les paroles de l’auteur de l’inceste peuvent œuvrer comme de véritables verrous venant sceller l’enfermement. Il suffit par exemple d’évoquer à un enfant un danger, même diffus, comme l’impact destructeur d’une révélation sur un autre parent ou sur la famille tout entière. Laisser entendre que l’enfant, déjà impliqué à son insu dans un acte interdit, à parler, serait responsable d’un malheur, d’une déflagration, c’est ériger la triple confusion de honte, de culpabilité et d’indignité en fondation de la claustration. Mais ce n’est pas toujours une menace qui verrouille le silence : une parole de complicité, créant le ferment d’une relation affective abusivement privilégiée, un huis clos relationnel dont l’enfant est l’élue/l’élu, s’avère un piège tout aussi redoutable. Dans d’autres situations encore, c’est un autre adulte à qui l’inceste a été confié qui mure le silence : la passivité, l’absence d’intervention, le déni, voire une seconde injonction explicite à se taire, viennent indiquer à l’enfant la voie à suivre, celle du silence et de l’intériorisation de l’inceste subi.

Un pacte de silence est alors passé entre les protagonistes de l’inceste, auteur, victime et témoin. Ils n’y sont cependant pas engagés au même titre du fait de la dissymétrie des places : l’enfant qui a subi passe ce pacte, à son insu, sans le savoir. Contrairement aux adultes, il ne dispose ni de la maturité, ni de la conscience, ni de la compréhension, pour non seulement pouvoir nommer ce qui se passe, mais également pour percevoir clairement l’inadéquation de la situation et sa portée de franchissement des frontières ; encore moins de la capacité de pouvoir y réagir concrètement. Il reste dans un état de confusion, bien en deçà de toute notion de consentement ou non consentement. Il est donc impliqué à son insu, à son corps défendant.

Par ailleurs, le silence peut s’imposer de lui-même, intérieurement, comme mode de survie, du fait de l’immaturité de l’enfant et de sa dépendance à son entourage. L’enfant perçoit confusément que c’est du côté du silence que sera protégé l’équilibre de sa vie actuelle ; et, face aux risques de changement, devant l’inconnu et l’étranger, parler ne peut faire contrepoids.

in Anne-Françoise Dahin, Comme une tombe, le silence de l'inceste, Yapaka,p8, 2022.

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