La garde alternée[1] : un principe progressif pour l’enfant
Au gré des évolutions sociale et familiale, l’organisation de l’hébergement de l’enfant entre son père et sa mère séparés a connu des changements. Aujourd’hui, l’alternance égalitaire devient un principe sur le plan juridique mais aussi sur un plan social voire éducatif au point que les droits des parents prennent le pas sur les besoins de l’enfant.
La séparation de ses parents est toujours un moment de déstabilisation pour l’enfant d’autant plus que celui-ci est jeune. C’est la raison pour laquelle les adultes ont à être particulièrement attentifs à organiser la vie de l’enfant en fonction de ses besoins, et à veiller à lui assurer un environnement stable. Si maintenir des relations avec ses deux parents est indispensable pour l’enfant, l’alternance égalitaire peut lui être dommageable.
Stabilité du lien
Au premier mois, le bébé a la capacité de s’attacher à plusieurs personnes de son entourage. Mais parmi elles, une seule figure privilégiée se détache et lui assure sécurité, permanence, continuité, d’autant plus qu’à cet âge il n’a pas encore conscience de sa propre individualité.
A partir de cette permanence de lien, d’habitudes sensorielles, corporelles, temporelles …le bébé se construit peu à peu et investit son monde environnant.
Sa notion subjective du temps et son besoin de continuité mettent à mal le bébé s’il est soumis à des rythmes voire à des changements répétés. De surcroit en cas de séparation, moment de fragilité pour tous, la garde alternée va à l’encontre des besoins de l’enfant de moins de 2 ans.
Aussi, un lieu de vie unique au cours des premiers mois offre une base pour organiser progressivement une ouverture au monde, aux autres, à la différence. Ces deux mouvements sont l’un et l’autre tout aussi essentiels pour l’enfant. Au fur et à mesure, ses modalités de vie s’ouvriront afin de soutenir les contacts avec ses deux parents sans créer une discontinuité préjudiciable pour lui.
Rythme de vie évolutif
Trancher une fois pour toute l’hébergement de l’enfant lors de la séparation ne tient pas compte du fait qu’il grandit et que ses besoins évoluent. Aussi un principe de progressivité doit intervenir notamment en fonction de son âge.
A 2 ans, pour tenir compte de l’immaturité de l’enfant quant à se représenter son parent absent au-delà d’un certain temps, il reste nécessaire de maintenir un hébergement principal, avec des visites limitées en temps et en nombre ainsi qu’une nuit par semaine.
Entre 4 et 6 ans, la période œdipienne avec son cortège de sentiments amoureux et agressifs à l’égard des parents pose la nécessité de trianguler la relation de l’enfant avec ses deux parents. Là aussi, résoudre l’équation par une solution simpliste de garde égalitaire ferait l’impasse sur la qualité relationnelle qui reste ancrée à partir du parent d’attachement principal.
Avec l’entrée à l’école primaire, l’enfant acquiert peu à peu la capacité de penser par lui-même. Il a pu intérioriser une image interne de ses parents et de son parent absent. Il développe peu à peu des relations extérieures, s’investit dans des activités propres...
Entre 6 et 12 ans, l’enfant est sans doute le plus apte à supporter un hébergement alterné. Moins dépendant de l’amour de ses parents, plus critique et plus ambivalent à leur égard, il est aussi en quête d’une équité envers chacun d’eux.
L'adolescent, quant à lui, exprimera bien souvent son désir de se poser un temps suffisamment long. Le rapprochement avec l’un des parents sera dans certains cas utile à son développement psychique ; voire le besoin d’expérimenter en continuité la vie chez un de ses parents, parfois celui qui a recréé une entité familiale avec fratrie.
Au-delà de ces repères soutenant une progressivité, certains enfants n’ont pas la capacité psychique de vivre des changements répétitifs et y consacrent toute leur énergie au détriment de leurs activités propres et parfois même de leurs apprentissages. Pour d’autres enfants, le sentiment d’être déchirés entre leurs parents fait obstacle à une alternance égalitaire, d’autant plus s’il y a conflit persistant entre eux.
Cohérence et respect
Il est nécessaire que les parents, de surcroit sur plusieurs lieux de vie, puissent se faire confiance et adopter des attitudes éducatives cohérentes. Cela ne veut pas dire qu'il faut des règles éducatives pareilles ou identiques. Ce serait une illusion puisque chacun, mère, père mais aussi grands-parents, gardienne, puéricultrice, a son style propre. Mais il est nécessaire que ceux qui s'occupent de l'enfant s'apprécient et se reconnaissent – suffisamment – les uns les autres, et, corollairement, qu'ils ne se critiquent pas mutuellement.
De la diversité de règles, l’enfant apprend à comprendre et à s'adapter aux différences, ce qui offre un bon acquis pour sa socialisation. Ce n'est pas la différence de règles mais l'incohérence par rapport aux règles qui est un problème pour l'enfant au point parfois qu'il se sente coincé dans les conflits et contradictions des adultes.
La continuité se joue aussi dans la tête du parent garant de la référence à l’autre parent, sans le gommer voire le critiquer. Pour l’enfant se conjuguent en permanence besoins de continuité et d’ouverture, qui se traduisent pour les parents par ne pas s'enfermer seuls avec l'enfant, et accepter les tiers, avoir confiance en eux.
Il importe aussi que le point de vue de l’enfant soit pris en compte mais que rien ni personne ne laisse peser sur lui le poids de la décision de son mode d’hébergement.
[1] L’énoncé de « garde alternée » renvoie à la notion juridique d’hébergement égalitaire.
Illustration : Quentin Van Gysel