La société actuelle est paradoxale dans sa volonté de protéger les enfants des comportements déviants ou abusifs des adultes tout en les soumettant de façon répétitive à des images et des discours imprégnés de violence, de sexualité ou de non-respect de l’autre.
Cette même société s’étonne, s’insurge, voire crie au scandale lorsque des enfants dans leurs jeux remettent en scène le monde dans lequel ils sont quotidiennement baignés depuis leur plus jeune âge. Comme souvent lorsqu‘elle est confrontée à sa propre image, la société, après un moment de sidération, est amenée à rechercher le responsable qui a induit de tels comportements chez des enfants.
Mais ces mises en scène sexuelles ou violentes sont-elles encore des jeux ou doivent-elles nous inquiéter ?
D’aucun considère que, parmi les jeux à caractère sexuel entre enfants, certains seraient « normaux », leur permettant de satisfaire certaines curiosités anatomiques et de se préparer à leur rôle d’adulte. Une autre question se pose alors : à quel rôle d’adulte se préparer ? Celui explicite du discours de protection ou celui implicite qu’on laisse passer dans certains discours et images auxquels les enfants sont soumis ?
Cette question est à poser individuellement et collectivement. Pour le professionnel confronté à des comportements sexualisés entre enfants, l’important est de pouvoir y réagir après avoir identifié s’il s’agit d’un jeu ou d’une situation abusive.
Jouer, qu’est-ce-que ça représente?
Lorsqu’un enfant joue, il crée un espace de transition entre son monde intérieur et le monde extérieur. Dans cet espace intermédiaire, il peut mettre en scène ses préoccupations intérieures, ses sentiments agressifs comme ses inquiétudes. Il peut aussi établir des liens entre des événements extérieurs vécus, entendus ou observés et son monde intérieur.
L’espace de transition du jeu lui permet de faire ses propres expériences et de mettre en acte ou en scène des sentiments personnels en rapport avec son environnement, et ce en dehors du regard éducatif des adultes.
Il s’agit donc d’un espace d’élaboration psychique permettant de se construire.
Le jeu souligne une préoccupation de l’enfant soit intérieure, soit liée à des événements extérieurs.
La situation de jeu est créatrice pour l’enfant ; elle lui permet de mettre en scène des situations qui n’existent pas, d’expérimenter des réponses, de maîtriser des angoisses, au travers d’inventions ludiques et dans un espace protégé.
L’adulte devrait donc regarder l’enfant qui joue avec bienveillance, le laissant à ses tentatives de concilier ce qui est subjectivement perçu avec ce qui peut l’être objectivement.
Les jeux à caractère sexuel ou mettant en scène la sexualité ont donc la même fonction que les autres jeux : mettre en scène des préoccupations intérieures et tenter d’élaborer ou d’intégrer des événements extérieurs vécus, observés ou entendus.
De plus, le caractère sexuel d’un jeu est à appréhender du point de vue de l’enfant et de son niveau de développement et non de notre point de vue d’adulte. Par exemple, deux enfants de 3 ans qui se touchent l’anus n’a pas la même connotation sexuelle que chez des enfants de 10 ans.
Comment le jeu vient-il aux enfants ?
Le jeu comme le langage sont des processus de symbolisation. Lorsqu’un enfant vit un événement, il y a deux temps : le temps où cela se passe, temps de l’expérience, et le temps où cela se trouve représenté, dans l’après-coup, dans une ressaisie de l’expérience.
C’est d’abord la mère qui traduit au bébé ses expériences, lui permettant petit à petit d’anticiper ce qui va se passer et d’avoir prise sur son environnement. Progressivement, si le milieu maternel est suffisamment bon, l’enfant va projeter sur les objets les émotions présentes dans la relation à la mère. Le jeu devient alors plus solitaire, essentiellement sensori-moteur et exploratoire. L’enfant cherche à avoir prise sur son environnement et a besoin de ces périodes de jeu hors de la présence de l’adulte.
Ensuite viennent les jeux d’imitation puis de coopération assignant un rôle à chacun des partenaires.
C’est dans ces deux catégories de jeux que peuvent apparaître les jeux à caractère sexuel. Ils permettent d’explorer les différences sexuelles physiques et de rôle dans une situation scénarisée où chacun se réfère à son expérience et à ses représentations pour jouer son rôle. Il y a donc partage et enrichissement mutuel des expériences et représentations de chacun, mais avec le risque que le jeu perde son caractère symbolique, cesse d'être « pour du semblant » et entraîne certains enfants dans des passages à l’acte abusifs dont les autres ne pourraient se dégager. Alors, à l’inverse du jeu qui permet l’élaboration psychique, une sortie de son cadre place à nouveau ceux qui jouaient dans l’expérience, mettant certains enfants en situation de se soumettre à la brutalité des comportements d’autres qui auraient un ascendant relationnel ou social sur eux.
Habituellement, l’être humain au cours de son développement parvient à se faire une représentation mentale de ce qu’il vit ou a vécu, ceci lui permettant progressivement de se détacher de l’action et de la remise en acte de ce qu’il cherche à élaborer. Le dessin est un exemple de ce passage de la remise en acte dans le jeu à la représentation imagée. Toutefois, certains enfants ou adolescents, voire certains adultes, pour repenser un événement auront besoin de le reproduire entièrement en acte faute d’élaboration mentale suffisante.
Comment réagir à des jeux de cet ordre ?
Sans contester l’espace transitionnel que représente la scène du jeu pour l’enfant, il est nécessaire que l’adulte reste attentif au contenu du jeu. En effet, le jeu laisse entrevoir ce qui préoccupe l’enfant, la façon dont il observe le monde qui l’entoure et comment il se le représente. L’adulte doit aussi tenir compte des modalités relationnelles qui structurent le groupe d’enfants afin d’évaluer si chacun a pu faire le choix de sa participation au jeu.
Lorsque l’adulte se trouve confronté à un jeu à caractère sexuel, il est important qu’il exprime à l'enfant sa surprise, voire son malaise, face à de tels comportements pour ensuite lui poser à nouveau les interdits qui protègent et structurent son développement.
Dans un temps différé, il peut reprendre avec l'enfant les préoccupations qui étaient mise en scène dans le jeu.