Billet paru initialement dans SavoirCom1
La Gendarmerie nationale et l’association AXA Prévention (association de loi 1901 dont la mission affichée est « la pédagogie et l’éducation aux risques » ) ont présenté en grande pompe médiatique jeudi 12 décembre un programme national pour responsabiliser enfants et parents à l’usage du Web et des réseaux sociaux : un permis Internet .
Voici la présentation faite par le dossier de presse :« Le Permis Internet pour les enfants est un programme pédagogique de responsabilisation des enfants et des parents pour un usage d’Internet plus vigilant, sûr et responsable. Son principe : faire passer aux élèves de CM2 leur Permis Internet. En CM2, les enfants s’apprêtent à entrer au collège, les usages et les risques augmentent, c’est le bon moment pour les préparer. La Gendarmerie nationale et l’association AXA Prévention unissent leurs forces et leurs expertises en matière de protection et de prévention contre les risques sur Internet en initiant, ensemble, ce programme pédagogique à destination des 9 – 11 ans. Le Permis Internet pour les enfants est mis en place dans les classes par les enseignants pendant le temps scolaire. Déployé dans le cadre des actions de prévention conduites par la Gendarmerie nationale, ce programme clé en main, dont la mise en œuvre fédère enseignants, familles et maires, est intégralement financé par AXA Prévention. »Le HuffingtonPost s’est procuré ce kit et décrit son contenu :
« Plus de 37.000 professeurs de CM2 s’apprêtent ainsi à recevoir un kit pédagogique contenant : • 1 DVD de témoignages et de tests d’entraînement • Des livrets ou plutôt « codes de bonne conduite sur Internet » pour chaque élève et ses parents • Des fiches d’examen avec 10 questions pour valider leurs acquis • Les fameux permis qui seront délivrés aux enfants • 1 affiche récapitulant les conseils à mettre dans la salle de classe »Ce sont donc 3 à 4 séances que les élèves recevront avant de devoir répondre à 10 questions qui permettront ou non, de valider leur code. C’est lors d’une cérémonie à laquelle devront être présent que le code sera remis aux élèves de CM2 par la gendarmerie et un représentant de AXA. Axa, assureur privé, qui propose aussi une prévoyance pour « Bien vous protéger contre les risques numériques » Internet ne serait donc que cela : une machine gigantesque, dangereuse et incontrôlable ?
Pour en finir avec cette approche du web par la peur : pour une véritable mise en œuvre de l’EMI
L’UNESCO propose un programme d’éducation aux médias et à l’information qu’il serait bon de prendre enfin en compte de façon sérieuse en France afin d’enseigner les compétences nécessaires pour profiter pleinement des avantages du droit à la liberté d’opinion et d’expression. Depuis des années, le saupoudrage s’avère inefficace, et amène même à des dérives du type de celle à laquelle nous sommes en train d’assister.L’appel à des entreprises privées pour remplacer les enseignants s’est déjà produit à plusieurs reprises avec des résultats fort mitigés. C’est à la fois un recul énorme que de brandir la « peur », un manque de perspective indéniable sur ce qui se fait dans les établissements (les professeurs documentalistes encore une fois sont totalement mis de côté. Certes dans ce cas précis, il s’agit du primaire, mais il aurait plus intéressant justement de songer à une liaison cm2-sixième sur ces compétences et savoirs notionnels afin d’établir et d’impulser une véritable progression curriculaire. Le curriculum et l’idée d’une didactique de l’information reposent justement sur l’idée d’une progression et d’une construction qui sorte des stratégies de bricolage que symbolisent les kits. Ce permis est à la fois une contradiction avec le principe de neutralité que défend notre collectif, mais aussi une contradiction vis-à-vis de l’enseignement du numérique qui doit se faire sur un temps long. Parler du numérique par le seul prisme de la peur,- c’est enfermer les élèves dans des schémas prédéterminés à l’avance.
- c’est empêcher de laisser place à la créativité.
- c’est stigmatiser les usages des ados.
- c’est empêcher les élèves de développer à long terme des compétences en littératie numérique.