A l’image de la maltraitance qui se joue au sein de familles quand le parent perd pied, dans nos métiers, nous sommes parfois emportés par des attitudes, des comportements délibérés ou involontaires, des négligences qui peuvent mettre l’enfant en difficulté voire contrevenir à son développement. Il arrive que le fonctionnement de l’institution elle-même ne soit pas respectueux des besoins de l’enfant et du jeune, voire que ce fonctionnement perturbe nos pratiques. Parfois encore, il arrive que nous cherchions avant tout à contenter nos attentes d’adulte ou encore que nous nous laissions déborder par des contraintes structurelles.
Notre certitude de bien faire - et c’est heureusement souvent le cas - et/ou une tendance naturelle à l’aveuglement ont pour effet de voiler des situations pourtant bien réelles : l’animateur qui, pressé par l’horaire, entre dans le vestiaire sans s’annoncer ou qui projette sur l’enfant des attentes de performance trop élevées ; l’enseignante à bout qui humilie ou empoigne l’élève en panne d’autre réponse face à un comportement inadéquat ; l’assistante sociale du PMS qui laisse libre court à ses représentations à l’égard d’un enfant étiqueté de ‘difficile’ ; le médecin qui dénigre le parent devant son enfant sous prétexte d’incompétence éducative ou de sa précarité sociale ; la puéricultrice qui ne prend pas le temps de changer un enfant,…
Des contextes difficiles
Les attentes sociétales à l’égard des enfants sont souvent énormes. Empreints de ce contexte, parents et professionnels espèrent de l’enfant qu’il excelle à l’école, qu’il performe dans le sport, qu’il obéisse, qu’il soit facile, etc. De surcroît, certains enfants sont traités comme des petits adultes (hypersollicités, hypersexualisés, hyperconnectés,…). L’adulte demande toujours plus et toujours mieux, mais sans se poser la question essentielle : « Cet enfant avance-t-il à un rythme en tous points adapté à son développement d’enfant, ou est-il le ‘produit’ propulsé par mes propres désirs d’adulte ? ».
En pratique, il y a aussi des professionnels confrontés à des parents absents, avec qui il est très compliqué d’échanger, de communiquer. Cela rend difficile le nécessaire travail de coopération et de confiance avec eux, et même de les garder en tête comme partenaires autour de l’enfant.
Parfois, nous sommes confrontés à des contraintes structurelles importantes : manque de personnel pour encadrer les enfants, bâtiments délabrés, inadaptés, manque de ressources matérielles pour accueillir des enfants et des jeunes en situation de précarité, etc. Parfois aussi, le fonctionnement de l’institution opère au détriment du développement de l’enfant : relégation scolaire, silence autour d’une situation de maltraitance, violences éducatives (punitions, humiliations, …), inadéquation dans le système de placement (trop grande distance géographique avec les parents ou parcage des enfants à l’hôpital,…), médication comme réponse immédiate faute d’autres offres de soin. Et à l’instar des poupées russes, il nous est difficile d’encadrer de manière adéquate ceux dont nous avons la charge si nous sommes nous-mêmes malmenés dans notre travail, si les conditions de travail ne sont pas réunies pour que nous puissions adopter une posture stable et appropriée à nos pratiques.
Une attention à nos pratiques
Il peut arriver à chacun et chacune d’entre nous d’être débordé et de ne plus répondre aux besoins de l’enfant mais aux nôtres, négligeant ainsi ce qui est ajusté aux besoins de l’enfant.
S’il va de soi que notre fonction implique d’être proche de l’enfant pour qu’il se sente porté, soutenu et cadré, il importe que nous ayons toujours à l’esprit de respecter une juste distance pour laisser l’enfant grandir à son rythme sans l’envahir de nos projections d’adultes. Si l’on agit pour soi-même, prenant l’enfant comme un objet, c’est le signal d’alarme que nous avons empiété sur son espace personnel.
En tant qu’adultes, nous évoluons à l’intérieur de nos propres limites personnelles et professionnelles. L’éthique inhérente à notre fonction et à notre équipe doit nous guider de sorte que l’enfant ou le jeune ne soit jamais l’exutoire ou la victime de nos pratiques. Ainsi, l’élève ne sera pas sanctionné injustement par cet enseignant qui s’est disputé avec son épouse le matin, l’animé n’essuiera pas les humiliations de cette cheffe, l’enfant ne sera pas poussé hors de ses limites pour nos propres désirs de réussite, etc.
Des repères pratiques pour penser ensemble
Il importe d’interroger nos pratiques et de ne pas rester seul face aux difficultés rencontrées. Il revient à l’institution d’organiser des temps et des espaces pour penser. Si elle ne propose pas ces moments de réflexion collective, nous pouvons aussi trouver d’autres occasions en partageant nos difficultés avec un collègue, en nous appuyant sur des temps de formation ou des rencontres informelles pour ouvrir ces questionnements.
D’abord, continuons d’indiquer les limites à l’enfant, mais sans entrer dans un rapport de pouvoir écrasant, humiliant ni de séduction. Cette position sera d’autant plus facile à tenir si elle s’appuie sur des règles claires qui ont du sens pour le professionnel comme pour l’enfant.
Laissons-nous également surprendre par l’enfant ou le jeune, tel qu’il est, sans nous encombrer d’étiquettes ou d’a priori. C’est la diversité des regards posés sur lui qui nous permettra de le saisir dans toute sa singularité et sa complexité.
Ensuite, prenons le temps en équipe d’esquiver les dictats de performance ambiants et valorisons des démarches qui font appel à la solidarité et à la collaboration entre pairs.
Notre responsabilité est aussi de protéger l’enfant en ne restant pas seul avec nos inquiétudes, en sollicitant d’autres professionnels qui pourront nous guider.
Le fait de travailler en équipe et d’aborder collectivement les difficultés qui se jouent peut servir de catalyseur à nos émotions et offrir la possibilité de (re)penser nos pratiques. Et si ce n’est pas possible d’aborder la question en équipe, nous pouvons nous appuyer sur notre réseau de travail de proximité (les Centres Psycho-Médico-Sociaux et les Services de Promotion de la Santé à l’École, les Services de santé mentale, les Centres de planning familiaux, …) et le réseau de l’aide spécialisée (l’équipe SOS Enfants, le Service de l’Aide à la Jeunesse).