Depuis les photographies en noir et blanc jusqu’au partage de vidéos sur les réseaux sociaux, l’image a de tout temps marqué la vie sociale et familiale. Elle garde des traces des événements, atteste d’un nouveau statut, ponctue les étapes de l’existence : naissance, décès, anniversaire, balade en forêt, voyage ou tout simplement soirée entre amis … Mais l’image peut également échapper à son auteur initial, devenir objet de moqueries ou de vengeance, de preuve ou de contrôle.
Aujourd’hui, la révolution numérique a permis à l’image de se démultiplier et d’inonder les moindres recoins tant de l’espace public que de la sphère privée… Au point que les moments de calme et de vide, si nécessaires à la construction de l’enfant, s’en retrouvent parfois noyés.
L’image partagée sert également à se raconter dans l’évolution de son identité. Certains parlent d’extimité pour évoquer le besoin de se dire. Un morceau d’intimité (choisi par son auteur) est exposé ; les images circulent alors sur la toile, permettant de tester des traits de son identité, de les faire reconnaître et valider par d’autres. Par cette mise en scène de soi, c’est l’équilibre entre vie privée et rapport aux autres qui est questionné. Selfies et vidéos sont « likés », commentés par le cercle d’amis sur les réseaux sociaux, puis rediffusés à nouveau.
Et si ce « toujours plus » révélait pourtant une certaine difficulté à être, à exister en dehors des autres et de ce foisonnement d’images?
Dans cette nouvelle aire de l’imagerie, il est essentiel de penser ces questions dans notre position d’éducateur, à la lueur de leur incidence sur le développement de l’enfant.
Repères légaux
La législation offre déjà quelques balises quant au droit à l’image. Dans le cadre public comme dans la sphère privée, chaque individu conserve des droits : le consentement d’une personne est indispensable quant à la prise, l’utilisation et la diffusion de toute image la représentant. La jurisprudence actuelle prévoit que, en fonction des circonstances et de la capacité de discernement de l’enfant, celui-ci donne son accord à partir de 12 ans. Il reviendra toujours à l’adulte la nécessité d’accompagner l’enfant, de penser avec lui la gestion des images et de l’incidence de leur diffusion, dans le cadre familial comme à l’école.
A l’image de son parent
L’enfant, pourtant au centre de tous les objectifs, est souvent celui dont l’avis est le moins pris en compte, son parent étant le premier à encourager sa médiatisation. Dès la naissance, voire dès la première échographie partagée sur les réseaux sociaux, les nombreuses images de bébé servent aux nouveaux parents à se (re)définir dans leur nouvelle identité, tâche parfois plus ardue qu’on ne le croit. Difficile donc pour une famille de se défaire de cette habitude qui l’a aidée dans sa genèse, habitude que l’enfant reprendra peu à peu à son compte sans forcément la questionner.
Et pourtant, « l’exemple, c’est nous » : l’enfant s‘inspire de la manière dont parents et adultes se comportent. Que pensera-t-il si à chacune de ses sollicitations, à chacun de ses exploits, il n’attire le regard - pourtant essentiel - de son parent qu’à travers l’objectif photo d’un téléphone portable ? Notre attitude face aux images et aux écrans laisse des traces dans le quotidien de l’enfant, dans son développement et sa capacité à apprivoiser l’image, que ce soit comme support d’émancipation (prendre des photos et des vidéos, pour partager, découvrir et communiquer) ou d’aliénation (publier compulsivement, comme s’il était impossible d’exister en dehors de ces images et, à travers elles, de l’approbation des autres).
Ainsi, l’image survalorisée aujourd’hui agit telle une caisse de résonance des capacités et fragilités de chacun. Par exemple, la difficulté du parent à se séparer - temporairement - de son enfant se traduira dans sa demande au professionnel de lui rendre compte sur ce que vit son enfant, via une caméra dans la crèche ou encore par des photos au jour le jour lors d’un voyage scolaire.
Le rôle cadrant du professionnel
En tant que professionnels, nous sommes évidemment en droit de tempérer de telles demandes. Nous pouvons également rappeler que dans un monde saturé d’images, il est parfois utile de se ménager des moments entre adultes et enfants, dont la richesse et le sens n’ont pas systématiquement besoin de passer par un écran/appareil photo. Ces moments sont bénéfiques dans le développement de l’enfant et permettent de partager par la suite de beaux souvenirs, imprimés différemment en chacun d’entre nous.
Nous pouvons en outre accompagner l’enfant et son parent dans l’usage que ceux-ci font des images, afin d’en prévenir les dérives. Une photo détournée à l’école ou un commentaire inapproprié sur une publication sera l’occasion de débattre au sein de l’école de la question du respect, du droit à l’image et de la responsabilité. Une vidéo choquante pourra être discutée ensemble, avec les enfants comme avec leurs parents, dans le respect des sensibilités de chacun.
Il est en effet essentiel de permettre le débat en famille, de questionner l’importance de l’image et de son partage, pour que sa publication relève du choix de tous, enfant compris, et non d’un simple automatisme de la culture ambiante.