Depuis plusieurs années, des politiques de santé publiques ciblant les jeunes sont déployées : campagne de prévention, réduction du coût de la contraception, accessibilité de l’information en matière de vie affective et sexuelle… et pourtant les chiffres montrent que les grossesses à l’adolescence demeurent une réalité significative. Quelque chose résiste.
Au-delà de l’information, une prévention dans la relation
La clinique et la rencontre avec les jeunes pris dans cette question nous enseignent qu’il s’agit d’y entendre quelque chose d’autre, quelque chose qui résiste à l’intellectualisation de la question à partir de notre savoir d’adulte. En effet si certaines grossesses à l’adolescence résultent d’une méconnaissance de la contraception, chercher uniquement les raisons du côté d’un déficit d’information, notamment dans les milieux défavorisés, est inopérant. Et si les dispositifs EVRAS (éducation à la vie affective et sexuelle) doivent être renforcés, ils ne peuvent être seuls dans l’environnement des jeunes à convoquer avec eux les questions de la sexualité et des conséquences potentielles.
L’adolescence est une traversée emplie de nouveautés, une période mouvante, de tâtonnements identitaires, de découvertes corporelles avec soi et l’autre, de surgissement du désir charnel… et c’est précisément dans cette rencontre avec ces nouveaux éprouvés, ces nouvelles identités possibles que surgit parfois cette question bien réelle de la grossesse. Pour nous, professionnels, s’ouvrent alors de multiples questions qui nous taraudent.
Comment entendre que surgissent des grossesses dans ce moment d’entre deux, au moment de sortir de l’enfance et de se diriger vers l’âge adulte, la majorité, la maturité ?
Si le fait de tomber enceinte est une chose, la décision de garder ou non le bébé, est-elle un choix opéré par ces jeunes filles (excepté les dénis de grossesse) ?
Qu’est-ce qui pousse certaines à choisir délibérément de tomber enceinte ou de prendre la décision de garder un bébé, alors que le contexte dans lequel elles évoluent, ne leur est souvent pas favorable (scolarité, précarité, vie d’adolescente…) ?
(Les grossesses consécutives à un viol relèvent d’une réalité spécifique non prise en compte ici).
Tomber enceinte, devenir mère s’origine dans des désirs différents
Et imaginer accueillir un bébé relève encore d’autres réalités concrètes et complexes.
Quel que soit le contexte, toutes les jeunes filles qui se retrouvent enceintes ne souhaitent pas être mères. Certaines d’entre elles, peu habituées à être aimées, éprouvent parfois de réelles difficultés à mettre des conditions à une relation amoureuse, qu’il s’agisse d’exiger un préservatif, de différer une relation sexuelle non-protégée ou de refuser les éventuelles manifestations de violence à leur égard. Le désir de grossesse (conscient ou inconscient) n’est donc pas toujours présent. Mais la grossesse surgit dans le réel.
Chaque situation de grossesse à l’adolescence témoigne d’une réalité complexe pour une adolescente alliant : recherche d’attention de la part de l’entourage, recherche d’un acte qui signifie un changement de place générationnel et une entrée dans le monde adulte, non compréhension du fonctionnement du corps ou recherche de confirmation de sa fertilité et de la « bonne marche » de ce corps aux nouvelles « capacités », fulgurance du désir de la rencontre des corps, maternité idéalisée, compensation en l’absence d’autres valorisations (échec scolaire, reconnaissance sociale, milieu précarisé...), mise à l’épreuve de la relation amoureuse, symptôme d’un mal-être ou réparation aux blessures de la vie, répétition d’un modèle familial, création d’une famille qui a manqué…
Une faible estime de soi est aussi à entendre dans ces grossesses précoces. Une quête réparatrice, la recherche d’un prolongement de soi qui ne va jamais quitter, abandonner sont des mouvements souvent à l’œuvre dans ces situations, tout cela coloré par la naïveté propre à l’adolescence. Dans les familles dont sont issues ces adolescentes, il règne souvent une confusion des places et des générations. Qui est la mère ? Qui est la fille ? Quelle place chacune occupe dans la lignée familiale ? Un emmêlement qui parfois pousse l’adolescente à chercher, à trouver sa propre voie en rejouant paradoxalement l’histoire familiale. En effet, quand arrive le bébé; souvent la mère de la jeune prend une place maternelle importante, parfois même tout la place. La recherche du statut d’adulte et d’émancipation de l’adolescente se retrouve alors piégée dans des fonctionnements familiaux transgénérationnels.
Il s’agit d’entendre la singularité de chaque histoire de vie adolescentaire, chacune comporte dans ce surgissement de la grossesse, une énigme, un nœud qui a besoin d’être accueilli singulièrement dans la rencontre avec les professionnels que nous sommes.
Un contexte social à interroger
L’hypersexualisation de la société et des jeunes, les discours ambiants sur la contraceptions,… ne contribuent pas à rendre la question sexuelle plus ouverte, bien au contraire. De manière générale, la sexualité adolescente est abordée trop strictement au travers du prisme fonctionnel, du danger à baliser (contraception, prévention sida …) voilant totalement ce que vivent les adolescents pris pour les premières fois dans la fulgurance du désir et de la rencontre charnelle avec l’autre au moment où justement chacun, chacune est dans les balbutiements de cette construction identitaire propre.
La clinique montre que la vulnérabilité des adolescentes à cet égard est d’autant plus grande que la sexualité reste une donne fonctionnelle non évoquée du côté du processus de construction identitaire et relationnelle.
La prévention doit tenir compte de tous ces aspects de développements, de construction et démarrer durant l’enfance par la mise en place par exemple de projets intégrés au sein des écoles alliant tous les acteurs professionnels. En abordant les questions à partir du quotidien des enfants et ensuite des jeunes, en prenant en compte les différents facteurs qui les amènent à prendre divers « risques » dans leur vie affective et sexuelle (passé, culture, représentations, manque d’estime de soi, manque de respect de soi, de l’autre, recherche de féminité / maternité, fossé qui sépare garçons et filles, …).
À titre personnel et sociétal, nos représentations des grossesses adolescentes sont parfois telles que dans un premier mouvement nous nous réfugions derrière des solutions moralisatrices voire prescriptives.
En tant que professionnel, comment soutenir l’émancipation de la femme quand la famille défend le projet de parentalité précoce comme seul dessein pour la toute jeune fille ? Nous sommes alors sollicités à penser et à imaginer un projet de vie au-delà de la parentalité, par exemple un accompagnement ajusté du parcours scolaire pour une jeune d’à peine 13 ans enceinte pour qui la poursuite de la scolarité sera un enjeu de taille.
La prévention passe par la relation et l’engagement de l’adulte, du professionnel quant à la prise en compte de cette grossesse dans l’histoire de ces jeunes : tenter de reconnaître les adolescentes dans ce qu’elles expriment, confirmer la légitimité de ce désir d’enfant qu’elles éprouvent et rassurer quant aux capacités qu’elles auront d’être de bonnes mères, même si les leurs se sont montrées défaillantes. Mais aussi, tenir compte de la double place qu’elles occupent : celle de mère, responsable d’un enfant, et de jeunes, elles-mêmes en pleine construction identitaire et avec les vulnérabilités spécifiques qui caractérisent l’adolescence. C’est, en effet, en mettant positivement ce futur en perspective qu’il sera peut-être possible de le différer dans le temps.
Autoriser à rêver d’un futur, où les adolescentes seraient de bonnes mères aimées et aimantes, est sans doute un moyen d’aider à postposer dans le temps la concrétisation de ce projet de grossesse. En parler avec elles, c’est leur dire tout d’abord que nous croyons en elles et qu’elles ne sont pas condamnées à répéter l’histoire. En parler avec elles, c’est ouvrir et soutenir qu’il y a un avenir. En tant que professionnel, nous veillons également à faire place aux garçons « catapultés » en père pendant leur adolescence, les accompagnons à penser leur place de père, les portons singulièrement aussi dans cet avenir de parentalité.
