Des frères et sœurs, ça se dispute. Et si ça ne se dispute pas, c’est suspect. La famille n’est pas ce lieu d’harmonie parfaite et permanente dont nous rêvons. D’ailleurs, le rêvons-nous vraiment? Ne nous sentons-nous pas souvent grandis après un conflit qui a pu s’exprimer et se régler dans le respect de chacun?
André, 49 ans, à qui on demande: "Et vous, vous étiez combien d’enfants dans votre famille?" répond, en riant: "On était six, et je te prie de croire que c’était cinq de trop!"
Les disputes, 'y en a de tous les genres!
Les disputes se présentent sous de multiples formes et traversent toute l’enfance. Depuis la caresse un peu leste du bambin de 2 ans à son petit frère (ah, qu'il aimerait le mettre à la poubelle!) aux morsures, griffures, tirages de cheveux et de vêtements, en passant par les regards furieux, les poussées vigoureuses, les coups, cris et injures (que les enfants, bien souvent, utilisent sans comprendre). Il y a aussi les jets d’objets contondants et les courses-poursuites, jusqu’aux joutes verbales assassines, aux humiliations raffinées, aux gestes grossiers que s’échangent allègrement ceux qui ne se battent plus…
On peut aussi ajouter à cet inventaire, les jeux d’alliance dans les fratries plus nombreuses: les filles contre les garçons, les aînés contre les plus jeunes, les extrêmes contre ceux du milieu, les grandes gueules contre les timides, les turbulents contre les calmes, etc. Autant d'alliances mouvantes selon le champ de bataille (on peut relever à cet égard la richesse des familles où les frères qui ont des sœurs, et inversement, peuvent expérimenter de l’intérieur le fonctionnement d’une mini-société mixte). Et si les alliances servent en général les bagarres dans la fratrie, il peut arriver aussi que les parents, surpris, se retrouvent confrontés à un bloc d’enfants soudés par leurs revendications, coriaces dans la négociation.
De même, des frères et/ou sœurs qui se montrent à la maison indifférents l’un à l’autre, si pas hostiles, peuvent déployer hors du regard parental de belles solidarités, aussi profondes qu’inattendues. Dans d’autres circonstances encore, des enfants qui se disputent habituellement beaucoup peuvent faire front ensemble en cas de difficulté familiale majeure et s’offrir un important soutien l’un à l’autre.
Les grandes différences d’âge tempèrent souvent l’éclat des disputes, en raison du fait que le plus vieux est censé être "raisonnable" et que le plus jeune admire souvent béatement son aîné(e). Mais qu’on ne s’y trompe pas, tout n’est pas rose et facile pour autant. Le grand peut être irrité d’être (trop?) responsabilisé vis-à-vis du petit. Le petit peut être (trop?) en attente d’une attention du grand dont le privent des centres d’intérêt divergents. Le grand peut être cruel, le petit peut être "pompant"…
Quel antidote?
Les parents ne doivent peut-être pas prétendre, même en toute bonne foi, qu’ils aiment tous leurs enfants de la même façon. Chaque relation parent-enfant est unique, marquée du désir (ou de l’absence de désir) qui a présidé sa venue, du contexte dans lequel il a été conçu, du déroulement de la grossesse, de l’avènement de la naissance, du premier regard, de l’accueil mutuel, du quotidien, du mode de vie, du sexe et du rang de l’enfant, des caractères en présence, des circonstances touchant à l’histoire de cette relation… Comment pourrait-il y avoir deux relations pareilles? Reconnaître ces différences, c'est reconnaître aussi les caractéristiques de chacun, lui donner une place qui n’est pas interchangeable, où son identité peut se fonder et se développer.
Les disputes entre frères et sœurs sont-elles autre chose qu’une lutte pour la conquête de cette place ou, du moins, son aménagement permanent?
Car, parallèlement au développement propre de l'enfant, on sait que tout événement personnel ou familial, anodin ou essentiel, heureux ou malheureux, modifie, sans arrêt, l'une ou l'autre donnée dans la famille et que l’adaptation de la place de l’un de ses membres entraîne l’adaptation de la place de tous ses autres membres.
Face à des disputes incessantes et violentes, que peuvent faire les parents? D'abord, imposer des interdictions claires et définitives, comme celle-ci: on ne fait pas mal à l’autre. Cela signifie ne pas faire mal physiquement, mais aussi ne pas humilier. On peut se disputer avec l'autre tout en le respectant, lui et les objets auxquels il tient.
Les parents peuvent aussi faire jouer les droits de chacun. Le droit de ne pas aimer l’autre, le droit d’éprouver à certains moments des sentiments négatifs, parfois très vifs, à l’égard de ceux qu’on aime, sans nécessairement se sentir "méchant". S’aimer, ce n’est pas être d’accord à propos de tout, ce n’est pas penser les mêmes choses sur tout.
On peut aussi, à froid, reprendre ensemble l’un ou l’autre sujet du conflit et essayer ainsi d'apprendre à l'enfant de se mettre à la place de l’autre. "Oui, c’est vrai, Sophie a cassé ta locomotive hier et ce n'est pas bien. Mais elle était fâchée parce que tu as accaparé son ami Félix tout l'après-midi et que tu l’as exclue de vos jeux sous prétexte qu’elle est une fille. Comment réagirais-tu si le contraire s'était passé? Félix est votre ami, à tous les deux."
Même si cet exercice est difficile pour la plupart des enfants, il est précieux parce qu'il apprend à reparler de sa colère ou de sa tristesse. Le bambin, petit à petit, s'entraîne à reconnaître ses émotions, à prendre des distances par rapport à celles-ci pour, plus tard, essayer de ne plus se laisser dominer par elles.
Les disputes surviennent quotidiennement, c'est vrai. Mais surviennent aussi des complicités entre frères et sœurs, des jeux interminables, partagés dans le calme et l’amusement, des gestes d'attention pour faire plaisir à l'autre, de longs conciliabules chuchotés, émaillés d’éclats de rire, de vraies conversations sincères et constructives… Des moments plus discrets que les disputes, des moments à guetter et à déguster en famille!