Patrice Huerre est pédopsychiatre dans un hôpital parisien. Il explique que "l'on assiste à une tendance où le recours au jeu utile, efficace semble prévaloir. Bien sûr les intentions des parents sont bonnes. Ils veulent contribuer à l'éveil précoce de leur enfant, le préparer mieux à sa vie scolaire future, le rendre performant.
Pour le tout-petit, les jeux stimulant les sens, le développement psycho-moteur sont vantés. Pour les plus grands, les firmes proposeront des jouets à haute technicité. Tout cela est, bien entendu, soutenu par un marketing très puissant qui met en avant cet arguments pour vendre aux parents soucieux de bien faire.
Pourtant, l'essentiel du jeu ne réside-t-il pas dans le plaisir partagé autour de lui, la médiation entre deux personnes? De petits bouts de bois, des cailloux, une chaussette enfilée sur la main pour improviser une petite marionnette suffisent souvent pour créer la magie du jeu. Or, souvent, les enfants gavés de jouets très élaborés ne savent plus jouer. Le rôle de l'adulte est donc essentiel en tant qu'initiateur du jeu. L'enfant seul face à son jouet s'ennuiera vite. Il aura besoin de partager des temps de jeu avec d'autres. Or, les parents peu disponibles pensent parfois qu'il suffit d'offrir des jeux à l'enfant pour compenser leur absence. Une partie de cartes en famille permettra de nombreux échanges sans que les choses soient dites en direct, elles passeront par la partie qui se joue. Un parent qui assiste au jeu de son petit garçon mimant avec ses voitures miniatures un accident violent évoquera avec celui-ci quantités de choses. On parlera de soi. Jouer permettra d'avoir du jeu dans la relation aux autres. On peut expliquer la violence qui régit certaines relations entre adolescents, au fait qu'ils ont peu joué étant enfant. Un affrontement direct, sans médiation est parfois le reflet de cette impossibilité du jeune à se sortir d'une impasse. Si l'adolescent n'a pas connu de telles situations de jeux durant l'enfance, il ne pourra pas jongler suffisamment avec les connaissances, avec les savoirs, la créativité liés au plaisir que l'on a pu avoir à jouer dans l'enfance. Il ne pourra pas mettre en jeu un problème. Il n'aura pas approché ces manières acquises en jouant, de détourner l'agressivité, d'utiliser la médiation, de surmonter les frustrations, de coopérer pour arriver au but... "