[Livre] Ensauvagement du monde, violence des jeunes

Numéro de collection: 
121

« Évoquer le mal-être de ces jeunes, c’est témoigner de l’état de notre société. Ceux d’entre eux qui ont grandi sans point d’appui, sans étayage affectif, culturel, ont reçu de plein fouet les violences de notre temps. Leur dérive vient dire ce que nous n’avons su leur transmettre du passé et ce que nous avons échoué à leur faire espérer de l’avenir, dans un contexte où le politique se fait aveugle et sourd aux impasses de la vie. Ils sont le symptôme d’un ratage collectif, le symptôme d’une société prise au piège des illusions du néolibéralisme et de l’hypermodernité. Au-delà des problématiques singulières, la misère psychique de certains de nos jeunes nous renvoie à notre responsabilité collective. À nous d’être les passeurs pour ceux d’entre eux qui traversent un passage à vide, ou qui stagnent dans une impasse. L’ascenseur social est en panne, l’offre d’idéal se fait rare, et nos enfants les plus déstructurés continuent de grandir dans l’errance et l’inespoir. Les institutions régulatrices disparaissent, les dispositifs de soutien qui permettaient les tours et détours, les voies parallèles et les ponts ont été drastiquement réduits, et les inégalités individuelles et sociales se creusent à la mesure du tissu associatif qui se disloque. Face à la fragilité de la constellation familiale et l’abandon par l’État de sa fonction unifiante et contenante, la référence commune qui règle les liens entre les hommes s’efface, et la loi sociale se transforme en loi privative, autoréférencée, au bénéfice du « chacun pour soi ». Ce qui faisait lien social autour de références communes disparaît au nom de la liberté d’opinion. Le lien social se défait et l’idéologie du profit déteint sur toutes les sphères de notre façon d'être au monde : ainsi en est-il du lien à l'autre qui prend la forme d’un parasitage, voire d'un arrachage pour s'emparer ce qui est bon pour soi. Les malaises existentiels contemporains, et les pathologies qui y sont liées, relèvent d’un effondrement d’une loi commune dont la fonction est de faire tiers et référence symbolique. Si des adolescents en quête de reconnaissance ne trouvent nul autre, nul objet auxquels s’arrimer, ils courent de trompe-l’œil en faux-semblant pour dépasser leur désenchantement. Livrés à leur fureur de vivre, ne recevant que l’écho de leur échec, ils sont envahis de honte, de mépris et de haine, qui vont se conjuguer et œuvrer sans garde-fous dans un champ d’inespoir. De parure en parade, et de masque en mascarade, ils recouvrent leur fragilité de voiles et de cache-misère. Mégalomanes pour ne pas sombrer dans la mélancolie, ils exigent à corps perdu, jusqu’à se perdre dans le mirage de la toute-puissance, soumis à leurs addictions et leurs violences. Sans bouée et sans ancrage, sans autre à qui se fier, ils trimballent leur mal-être de décrochage en décrochage, à la limite du point de non-retour. Sans rien pouvoir dire de leur colère, ils l’agissent sur la scène du social, dans la désespérance de leur quartier. Au sein de leurs cités enclavées, évidées, exsangues, ils se laissent porter au gré des rencontres, à la dérive de leurs pulsions destructrices. Revenus de tout, avant même d’avoir pris leur départ, ils traînent leur vie avant même de s’y être engagés. Ils ne s’arriment aucune mémoire, aucun repère, et font mine de ne rien attendre, de ne rien entendre, réduits au repli régressif et dépressif, ou à la fuite en avant maniaque et mégalomaniaque. » [p. 32] 

SOMMAIRE

À l’heure de la pandémie 

L’ensauvagement du monde

  • Qu’est-ce que vivre avec son temps ?
  • L’écologie, au fil des générations
  • Finitude des ressources, croissance illimitée
  • Un court-circuit de la pensée 
  • Aliénés à la production et à la consommation 
  • Au nom de la nouvelle raison du monde
  • Les damnés de la mer 
  • L’homme en pièces détachées
  • La bourse ou la vie ?
  • Nos représentations du monde

Addictions et violences au temps du néolibéralisme

  • Des jeunes sans bouée et sans ancrage 
  • Une fuite en avant 
  •  L’addiction à la consommation
  •  Loi du marché et toxicomanie
  • À la dérive de leurs pulsions 
  • Une rage de vivre 
  • D’une emprise à l’autre
  • La place du père
  • Entamer le poids du silence 
  • Faire récit
  • Se faire cet autre qui accueille
  • Convertir leur « vitalité destructrice »

Bibliographie 

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