Le gouvernement français a demandé à une commission d'experts, issus de la société civile, d'évaluer les impacts des écrans sur les enfants. En avril 2024, ils ont remis un rapport dont voici les principales conclusions :
"- Un consensus scientifique net se dégage sur les conséquences néfastes des écrans sur plusieurs aspects de la santé somatique des enfants et des adolescents. En particulier, l’utilisation des écrans contribue, directement ou indirectement, selon une relation dose-effet, aux déficits de sommeil, à la sédentarité et au manque d’activité physique, à l’obésité et à l’ensemble des pathologies chroniques qui en découlent, ainsi qu’aux problèmes de vue (développement de la myopie et risques possibles pour la rétine liés à l’exposition à la lumière bleue). Des interrogations, non encore tranchées par la science, sur les effets de l’exposition aux ondes électromagnétiques ainsi que sur l’impact éventuel de l’exposition à des substances présentes dans les terminaux numériques et reconnues comme étant des perturbateurs endocriniens invitent, à ce stade, à la prudence, en particulier dans les périodes de forte vulnérabilité comme la grossesse ;
- Les études sur les conséquences des écrans sur le neurodéveloppement des enfants et des adolescents nécessitent encore d’être approfondies ; et tout en reconnaissant les difficultés attachées aux conditions de ces études pour établir des liens de causalité, et l’importance d’autres facteurs environnementaux, les données nous incitent à aller vers une régulation des usages. La Commission souhaite en particulier appeler à une grande vigilance, a minima jusqu’aux 4 ans de l’enfant, dans l’usage qui est fait des outils en leur présence par les parents, mais aussi plus généralement par les professionnels en lien avec la petite enfance : mécaniquement, cette « technoférence » qui affecte la quantité et la qualité des interactions avec l’enfant peut altérer, en cascade, les capacités socio-émotionnelles et le développement du langage. L’adolescence est aussi une période vulnérable à ce titre sur le plan psychocomportemental ;
- La notion « d’addiction aux écrans » en tant que telle n’est pas encore reconnue par la science, mais les « écrans », et en particulier l’utilisation des réseaux sociaux, semblent être, au-delà des bénéfices qu’ils peuvent apporter, des facteurs de risque supplémentaires lorsqu’il y a une vulnérabilité préexistante chez un enfant ou un adolescent, notamment de dépression ou d’anxiété. Dans un contexte de diffusion massive des usages numériques, et de forte fragilisation ces dernières années du bien-être mental des adolescents, notamment des jeunes filles, la recherche doit progresser pour éclairer les décideurs, mais l’attention doit être acquise dès à présent à l’endroit des conceptions délétères de certains services numériques ;
- L’accès non maitrisé des enfants aux écrans et l’insuffisante régulation des contenus auxquels les mineurs peuvent être exposés, en matière de pornographie et d’extrême violence, font peser un risque élevé sur leur équilibre, voire parfois leur sécurité, a fortiori si le dialogue avec les adultes n’est que peu construit. Ils soulèvent, plus largement, des questions sur le plan sociétal, par exemple avec la diffusion massive de certains stéréotypes ou représentations délétères sur les relations entre les hommes et les femmes, sur la sexualité, sur le « vivre ensemble ». Les risques d’enfermement provoqués par les bulles algorithmiques doivent être davantage considérés, et les représentations délétères déconstruites. Les dangers liés à la pédocriminalité n’ont jamais été aussi élevés, et peuplent tous les espaces numériques sur lesquels se retrouvent les mineurs (jeux vidéo, forums et messageries notamment). Les pouvoirs publics et les différents acteurs du numérique ne sont pas restés inactifs face à l’émergence et à l’amplification de ces différents risques. Mais le sujet est hautement complexe, favorisant un sentiment d’impuissance voire de renoncement."
La commission d'experts a proposé au gouvernement 6 axes de travail, déclinés chacun en actions concrètes :
Axe1 : s’attaquer avec force aux conceptions addictogènes et enfermantes de certains services numériques, pour les interdire et, ce faisant, rendre aux enfants et aux adolescents leur liberté et la possibilité de faire de véritables choix. L’exigence doit aussi être mise sur l’accessibilité et la clarté du paramétrage et du modèle économique de tout service numérique, sans lesquelles les mineurs font face à des évolutions qui font fi de leur consentement ; ainsi que sur la promotion d’alternatives plus éthiques aux modèles existants
Axe 2 : sortir de l’ornière du seul contrôle parental, qui présente ses limites, pour privilégier, grâce à la mobilisation de tous, des solutions technologiques permettant de passer à l’échelle la protection des mineurs contre les contenus illégaux, et ce quelle que soit la porte d’entrée dans le numérique (portable, box, Wi-Fi, à domicile, dans les établissements scolaires…).
Axe 3 : promouvoir une progressivité dans l’accès aux écrans et les usages qui en sont faits par les mineurs, en fonction de leur âge. Cette logique de « parcours » échelonné, raisonné et accompagné, doit permettre de ne plus « lâcher » les enfants et les adolescents dans le monde numérique sans soutien, ni éducation (pas d'écran avant 3 ans, accès très limité jusque 6 ans, pas de téléphone avant 11 ans, pas de réseaux sociaux avant 15 ans).
Axe 4 : préparer sérieusement les jeunes à leur autonomie sur les écrans, leur donner le pouvoir d’agir et, dans le même temps, redonner toute leur place aux enfants et aux jeunes dans la vie collective
Axe 5 : mieux outiller, mieux former au numérique et mieux accompagner les parents, les enseignants, les éducateurs et tous ceux qui interviennent auprès des enfants, tout en organisant une société qui remet l’écran et le numérique à leur juste place
Axe 6 : mettre en place un dispositif ambitieux de gouvernance permettant à la puissance publique de définir une véritable stratégie, de disposer de capacités de pilotage, de pouvoir mieux soutenir les acteurs qui interviennent auprès des jeunes et des familles, et d’informer les citoyens
La commission a été menée par Servane Mouton, neurologue et le rapport est à découvrir dans son intégralité sur le site de l'Elysée
