12-07-2011 Aide aux victimes et modification du code pénal

Suite aux nombreuses réactions, les discussions se sont poursuivies pour en arriver à un amendement qui rend le texte nettement plus acceptable.

Notre avis :

Contrairement au texte initial, cet amendement sauvegarde l'essentiel.
Les passages de la justification relatifs au respect de la subsidiarité et à la signification du renvoi à l'art. 422bis sont rassurantes.
Le seul point qui reste délicat est l'abandon de la condition que le professionnel ait reçu lui-même les confidences ou examiné la victime. Mais le législateur, en 2000, n'avait pas exclu l'application de la cause de justification de l'état de nécessité, laquelle n'implique pas nécessairement cette condition. L'essentiel sera que l'on soit rigoureux dans l'interprétation des mots "a de ce fait connaissance". Avoir connaissance, dans le cadre de la relation professionnelle, ce n'est pas avoir reçu une plainte non étayée (par exemple d'une maman au retour d'un week-end de l'enfant chez son père) ni avoir entendu dire que... Ce serait bien que ce soit précisé au cours des travaux parlementaires en rappelant qu'en aucun cas un professionnel ne pourrait utiliser son "droit de parler" à la légère, car il s'exposerait alors à des poursuites pénales du chef de violation du secret professionnel puni par l'art. 458.

L'amendement

Art. 6

L’article 458bis du Code pénal, inséré par la loi du 28 novembre 2000, est remplacé par ce qui suit:

« Sans préjudice de l’article 422bis, toute personne qui, par état ou par profession, est dépositaire de secrets et a de ce fait connaissance d’une infraction prévue aux articles 372 à 377, 392 à 394, 396 à 405ter, 409, 423, 425 et 426, qui a été commise sur un mineur ou sur une personne qui est vulnérable en raison de son âge, de sa grossesse, d’une maladie ou d’une déficience ou d’une imperfection physique ou mentale peut en informer le procureur du Roi:

-  soit lorsqu’il existe un danger grave et imminent pour l’intégrité physique ou mentale du mineur ou de la personne vulnérable visée à l’alinéa 1er, et alors qu’elle n’est pas en mesure, elle-même ou avec l’aide de tiers, de protéger cette intégrité ;

- soit lorsqu’elle dispose d’indices sérieux qu’il existe, pour d’autres mineurs ou personnes vulnérables visées à l’alinéa 1er, un danger grave et imminent pour leur intégrité physique ou mentale, et alors qu’elle n’est pas en mesure, elle-même ou avec l’aide de tiers, de protéger cette intégrité. ».

La justification

L’objectif du présent amendement est double :

D’une part, il répond à un certain nombre de remarques et de mises en garde justifiées émanant de praticiens (point 2) tenus au secret professionnel.

D’autre part, il précise les objectifs exprès du législateur (point 1) en ce qui concerne les modifications proposées et apportées au texte de loi, de manière à replacer tous les éléments dans leur cadre.

1. En modifiant l’article 458 du Code pénal, le législateur poursuit un triple objectif :

La possibilité pour une personne tenue au secret professionnel de rompre son secret professionnel sur une base légale est élargie sur trois plans :

- Alors que  le secret professionnel ne pouvait jusqu’ici être rompu que lorsque la personne tenue au secret professionnel était informée des infractions visées de la bouche même de la victime, cette condition est élargie : la personne tenue au secret professionnel peut désormais aussi rompre son secret professionnel lorsqu’il est informé d’infractions par des auteurs ou par des tiers ; pour le permettre, on supprime la condition prévoyant que le dépositaire du secret professionnel doit avoir examiné la victime ou recueilli les confidences de celle-ci.

Nous avons pleinement conscience que l’élargissement précité est une source potentielle de problème sérieux dans le chef du dépositaire du secret professionnel : dans la mesure où il est informé d’une infraction par l’auteur ou par une tierce personne, il va être confronté à un difficile exercice d’appréciation : quelle est la crédibilité du récit, que s’est-il précisément passé, s’agit-il de faits punissables ou non ??? …. Cela étant, dans l’état actuel de la législation, les dépositaires du secret professionnel qui veulent user de leur droit de parler sont déjà aussi confrontés à des problèmes similaires et doivent souvent résoudre de difficiles problèmes de conscience avant de parler…  Nous reconnaissons donc la problématique, mais nous estimons que la protection inconditionnelle et maximale des mineurs et des personnes vulnérables prime…

- Alors que le secret professionnel ne pouvait jusqu’ici être rompu que si la victime des infractions visées était mineure, nous voulons élargir cet aspect du champ d’application : désormais, les infractions commises contre des « personnes vulnérables » pourront également être l’occasion, pour le dépositaire du secret professionnel, de faire usage de son « droit de parler ».

Nous avons repris la définition de « personnes vulnérables » du projet de loi modifiant et complétant le Code pénal en vue d'incriminer l'abus de la situation de faiblesse des personnes et d'étendre la protection pénale des personnes vulnérables contre la maltraitance (projet n° 53-080/009) : cette nouvelle définition est introduite par l’extension de l’alinéa 1er de l’article 458bis du Code pénal.

- Alors que le dépositaire du secret professionnel ne pouvait jusqu’ici choisir de parler que si la victime qui l’avait informé d’une infraction courait elle-même encore le danger d’être à nouveau victime, nous élargissons également cet aspect : le dépositaire du secret professionnel pourra désormais faire usage de son droit de parler, non seulement si la victime qui l’informe des faits risque à nouveau d’en être la victime, mais aussi si d’autres mineurs ou personnes vulnérables risquent d’être victimes des infractions qui lui sont révélées.

Cette extension vise à remédier à une lacune dans les dispositions actuelles : il n’était pas normal que seule la protection de la victime directe puisse donner lieu à la rupture du secret professionnel, d’autres victimes possibles doivent également pouvoir être protégées.


Dans l’article 6 proposé, cette condition a été libellée comme suit : « soit lorsqu’il y a un risque sérieux et réel que d’autres mineurs ou personnes vulnérables visées soient victimes des infractions prévues aux articles précités. ».

La disposition proposée donnerait sans nul doute lieu à une série de problèmes d’interprétation, par exemple, en ce qui concerne la définition d’un “risque sérieux et réel”. Evaluer ce risque n’est absolument pas chose aisée. Le “dispensateur d’aide" sera tributaire, pour cette évaluation, d’informations concernant la personnalité, le passé, les conditions de vie et de travail de l’auteur (présumé), etc. Supposons qu’un enfant confie à son généraliste que son père l’abuse. Appartient-il alors à ce médecin d’évaluer si des enfants ne faisant pas partie de la famille courent aussi un risque? Le médecin n’a en effet, par hypothèse, pas parlé à l‘auteur présumé, a fortiori posé un diagnostic. Doit-il alors vérifier si l’intéressé se meut dans l’entourage d’enfants? S’il donne cours dans une école ou est membre d’un club sportif ? Ou le médecin doit-il se forger un jugement sur la base des données dont il a connaissance?

Aussi proposons-nous d’ajouter que le dispensateur d’aide doit disposer d’indices sérieux qu’il existe, pour d’autres mineurs ou personnes vulnérables visées à l’alinéa 1er, un danger grave et imminent pour leur intégrité physique ou mentale.

Les termes “danger grave et imminent” sont repris de l’article 458bis existant, de sorte que la jurisprudence et la doctrine existantes peuvent être appliquées par analogie. Les problèmes d’interprétation éventuels en ce qui concerne les termes “risque sérieux et réel” sont éliminés.

Il convient d’observer que cette modification crée toutefois une possibilité pour les dispensateurs d’aide d’agir en méconnaissant ce que les victimes souhaitent elles-mêmes (cela peut évidemment aussi être la voie non judiciaire).

2. Afin de tenir compte des observations et des préoccupations légitimes des praticiens, le présent amendement précise et modifie également les points suivants de la proposition de loi :

-           L’article 6 de la proposition de loi prévoit qu’une condition complémentaire pour pouvoir faire usage du droit de parole est que la victime n’est pas en mesure, elle-même ou avec l’aide de tiers, de protéger cette intégrité.

L’actuel article 458bis du Code pénal dispose qu'elle n’est pas en mesure, elle-même ou avec l'aide de tiers, de protéger cette intégrité : il est incontestablement admis que le mot « elle » ne porte pas sur la victime, mais bien sur la personne qui est dépositaire du secret professionnelle qui, le cas échéant, doit tenter d’intervenir elle-même ou avec l’aide de tiers.

Il s’agissait de clarifier et de préciser ce principe de subsidiarité à prendre en considération (Rapport au fait nom de la commission de la Justice, Doc. Sénat 1999-2000, n° 2-280/5, P. 42 et 111 et I. VAN DER STRAETE ET J. PUT, « Het spanningsveld tussen beroepsgeheim en kindermishandeling : wetgevende initiatieven in België en Nederland”, Tijdschrift voor Gezondheidsrecht 2001-02, p. 70-84), qui doit garantir qu’il n’est fait usage du droit de parole que lorsque le danger ne peut être écarté efficacement de quelque autre manière que ce soit, c’est-à-dire ni par le détenteur du secret professionnel ni en recourant à l’aide de tiers.

Il va sans dire que le principe de subsidiarité précité s’applique à la fois à l’extension visée à l’égard des « personnes vulnérables » et à l’égard d’éventuelles « autres » victimes potentielles…

-           Le renvoi explicite à l’article 422bis du Code pénal figurant dans la dernière phrase (et non dans l’alinéa 2, comme le précise erronément le commentaire des articles) de la nouvelle version de l’article 458bis du Code pénal donne lieu à des problèmes d’interprétation et risquait de faire évoluer le droit de parole visé par les auteurs de la proposition de loi vers une obligation de parler.

Jamais le législateur, ni les auteurs de la proposition de loi à l’examen, ni  les membres de la commission spéciale qui ont suggéré, dans leurs recommandations, de modifier l’article 458bis du Code pénal n’ont eu l’intention d’imposer une obligation de parler.

Alors que, dans la recommandation de la commission spéciale, l’ajout proposé renvoyant à l’article 422bis du Code pénal ne devait viser qu’à « avertir ou rappeler » l’existence du délit d’ « abstention coupable » (DOC 53 520/002, p. 408-409), ce renvoi explicite et distinct peut à présent être considéré comme l’instauration d’une obligation de parler, ce qui ne peut jamais avoir été le but poursuivi.

Le renvoi explicite à l’article 422bis du Code pénal peut en effet être interprété comme une extension de la qualification délictuelle de l’article 422bis du Code pénal : selon cette interprétation, il y a non seulement abstention coupable lorsqu’une personne s’abstient d’intervenir en cas de « danger grave et imminent » (qualification délictuelle figurant à l’article 422bis même), mais aussi lorsqu’elle n’use pas d’un droit de parole éventuellement possible, sans qu’il doive être question d’un « danger grave et imminent »…

Aussi proposons-nous de supprimer la dernière phrase de l’article 6 proposé et d’insérer le renvoi à l’article 422bis en guise de rappel. Nous souhaitons par ailleurs souligner la possibilité d’une responsabilité en cas d’abstention coupable en faisant figurer ce renvoi au début de l’article 458bis du Code pénal.

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