Les écrans sont présents aujourd’hui dans tous les lieux de vie. Ils occupent une place primordiale. La télévision bouillonne et Internet offre un flux continu. Impossible aujourd’hui d’imaginer un univers de travail ou familial dépourvu de cette source.
La télévision s’est assurément invitée partout : du salon familial à la chambre de l’enfant (laissant celui-ci seul devant ce qu’il voit) en passant par les transports en commun, et depuis peu les téléphones portables. Une publicité pour cette nouvelle technologie promeut la possibilité de faire dès lors deux choses en même temps ; selon la logique offerte par cet annonceur, grâce à la télévision portable, je peux assister à un match de foot tout en suivant un match de tennis sur mon mobile.
Dans cette ligne creusée depuis quelques années, puisqu’elles sont partout et qu’il est offert à chacun de faire plusieurs choses à la fois sans opérer de choix, les télévisions se sont imposées tout naturellement dans les maternités.
Suite incontournable d’un progrès et d’une offre technologiques ?
Dès ses premières heures, le tout-petit baigne donc déjà dans cet univers cathodique qui lui tend les bras comme pour une première rencontre soi-disant nécessaire. Bienvenue dans le monde des écrans !
Il est intéressant dès lors de s’arrêter un instant pour penser à la place qu’occupe cet écran dans une chambre de maternité (voire parfois dans les salles de travail). Quel rôle prend-il dès les premiers jours de vie de l’enfant, au moment même de la rencontre avec ses parents ?
Ecran : le mot lui-même donne déjà à penser.
Comment réfléchir à ce qu’évoquent les pédiatres qui travaillent en maternité quand ils relatent qu’aujourd’hui, lors du premier jour de vie du bébé, à l’heure d’examiner l’enfant avec les parents, il est devenu habituel de commencer par demander d’éteindre la télévision ? Quelle influence y a-t-il sur le développement de la relation parent-bébé et ensuite sur le développement du bébé ?
Il n’est pas question ici de juger du contenu du programme diffusé, c’est l’écran lui-même qui pose question.
« Tu vois ce que je veux dire ? »
De nombreuses études ont mis en évidence l’importance de l’interpénétration des regards dès les premiers jours de vie, de l’attention conjointe dans les premiers mois. C’est les yeux dans les yeux que cette première rencontre a lieu et le regard est bien une des premières forme de langage mise à disposition du tout-petit. Les mamans et leur bébé pour se rencontrer et se raconter se fondent dans les yeux l’un de l’autre. Les mères, dans les premiers jours, les premières semaines de la vie de l'enfant, vont fixer le regard de leur bébé en le captant durablement pour lui apprendre ce que l’on peut dire avec les yeux et l’accrocher ainsi à notre monde.
La prise de conscience de soi passe par le regard de l’autre et surtout dans la toute nouvelle relation maman-bébé. Généralement, un bébé se voit, se découvre lui-même dans le regard de sa mère. En d’autres termes, la mère regarde le bébé et ce que son visage exprime est en relation directe avec ce qu’elle voit. Ces regards sont des regards d'attention, d'observation et d'étonnement… Dès la naissance a lieu « l'accrochage primitif » du premier regard qui est le premier miroir de l'enfant. Grâce à ce regard posé sur lui, a lieu l’indispensable accordage affectif : mère et enfant se mettent au diapason de leurs émotions. Ce regard-miroir déclenche aussi une «imitation croisée» entre la mère et l'enfant, chacun imitant l'autre, ce qui permet au bébé de survivre et de s'épanouir. Plus tard, à l'âge de la marche, les enfants continuent à lire dans les yeux de l'adulte la bienveillance, l'autorisation de continuer. C'est l'enjeu du fameux «maman, regarde-moi !», que les enfants répètent continuellement dans les plaines de jeux. Une manière de s'approprier, par l’œil de l'autre, ses progrès et ses limites. Le regard est un contenant. Il porte et élève l'enfant.
Comment décoder alors la triangulation bébé-maman-écran qui se joue au moment de la tétée par exemple ? L’enfant fixe le visage de sa mère qui, elle, regarde la télévision. Ce bébé à la recherche du regard de sa mère, ne lui demande-t-il pas simplement de le regarder pour exister ?
Regards croisés
A la naissance, les regards vont donc favoriser l'attachement mutuel entre la mère et le tout- petit, attachement qui fournit une base sécurisante à l'enfant. Si cet attachement est fragile, l'enfant ne se sent pas complètement en sécurité, ce qui peut gêner son développement psychique.
En captant l’attention, les écrans viennent perturber la mutuelle découverte des parents et de leur bébé. La présence de télévision mais aussi d’ordinateur, de téléphone portable et l’usage que chacun en fait n’est donc pas complètement anecdotique dans ce qui se joue entre l’enfant et ses parents dans les premiers jours de la rencontre et plus tard.
De plus, quand ils sont omniprésents, écrans, GSM, Internet ou encore la musique dans le métro ou les supermarchés viennent masquer notre difficulté à être seuls. Cette capacité, qui s’apprend dès le plus jeune âge, est néanmoins indispensable car c’est également elle qui nous permet d’avoir nos propres pensées.
Illustration : Quentin Van Gysel