[Livre] Triste tigre

 «  Les gens qui ne sont pas familiers du sujet imaginent qu’un viol répété pendant des années aura des conséquences essentiellement sur la sexualité de la victime. Ils se disent que ceux qui ont vécu ça doivent avoir des problèmes dans leurs relations amoureuses et leur vie sexuelle. Oui, certainement, nous avons souvent ce genre de problèmes, mais en réalité, pour un survivant d’abus, le problème de la sexualité est souvent le cadet de ses soucis. Comme on l’a dit, le viol est davantage une question de pouvoir que de sexe. Si on ne prend pas en compte cette composante, le phénomène dans son ensemble nous échappe. »

 

Neige Sinno nous plonge dans sa tête. Dans son livre « Triste tigre », elle nous invite à réfléchir la complexité de l’inceste à partir de celui qu’elle a subi lorsqu’elle était enfant. Elle ouvre  avec nous lectrices et lecteurs, 1001 questions, nous emmène dans les méandres de ses réflexions. Parmi celles-ci, elle questionne la place de l’écriture et de l’art dans les chemins de vie.

« (…) 
Pourtant il est vrai que, dès qu’on peut parler du traumatisme, c’est qu’on est déjà un peu sauvé. Cela ne veut pas dire que ce soit la parole ou la littérature qui réalise la thérapie. Au contraire, l’écriture ne peut advenir que quand le travail, une partie du travail, a été fait, ce morceau de travail qui consiste à sortir du tunnel. On n’écrit pas avec ses névroses, comme le dit Deleuze. La névrose, la psychose ne sont pas des passages de vie, mais des états dans lesquels on tombe quand le processus est interrompu, empêché, colmaté. La maladie n’est pas processus, mais arrêt du processus.  Finalement, la fameuse phrase d’Artaud (citée par tout le monde, à toutes les sauces), celle qui dit que nul n’a jamais écrit ou peint, sculpté, modelé, construit, inventé, que pour sortir en fait de l’enfer, est peut-être une scandaleuse méprise. En réalité c’est l’inverse qui se produit, c’est-à-dire que celui qui écrit, dessine, etc. est déjà de fait sorti de l’enfer, c’est justement pour ça qu’il peut écrire. Car quand on est en enfer, on n’écrit pas, on ne raconte rien, on n’invente pas non plus, on est juste trop occupé à être dans l’enfer.  Si on peut en parler, écrit Virginia Woolf, c’est que l’événement est détaché de la souffrance pure, qui se vit sur le mode de l’irréel. Il ne devient réel que quand il est saisi à travers le langage. (…)
Voici ce qu’en dirait David Foster Wallace : S’il y a bien quelque chose qui n’a pas changé, c’est la raison pour laquelle écrivent les écrivains qui ne le font pas pour l’argent : ils le font parce que c’est de l’art, et que l’art c’est du sens, et que le sens c’est du pouvoir. » Extraits de Triste tigre Sinno, Neige  

Une lecture dense, bousculante. "Triste tigre" fait partie de ces lectures qui marquent. Claire-Anne de Yapaka 

Auteur: 
Neige Sinno
Type de ressource: 
Roman
Format: 
536 pages.
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