Billet invité de Aïssa, éducateur
Une plume à la main mieux que des coups de poing!
Voilà maintenant 4 années que j'anime des ateliers d'écriture auprès d'adolescents et de jeunes majeurs en milieu ouvert. (prévention spécialisée)
Dans ce cadre, j'utilise le rap comme un véritable outil éducatif au service d'un public en voie de marginalisation, capable de produire de l'émancipation du haut de ses réalités.
Chaque participant choisit un thème dans la liste que l'on a conçu ensemble. On ne se juge pas, on ne se moque pas de l'Autre. Tout le monde a sa place. Chaque jeune est accueilli dans son humanité là où la majorité des dispositifs les rejette.
Dans ces ateliers d'écriture, on travaille le fond et non la forme, c'est-à-dire que, dès le départ, j'ai fait le choix de ne pas m'attarder, en tant qu'éducateur, sur les erreurs de syntaxe ou d'orthographe. Cette posture éducative permet, pour la personne qui s'exprime, de se sentir libre dans le choix de ses mots et de se déculpabiliser à l'endroit où l'éducation nationale a tant insisté sur l'acquisition de « bonnes notes ».
Pour faciliter la naissance d'un texte, j'utilise quelques méthodes comme celle de faire circuler des fonds musicaux, de mettre en forme un texte à trous que la personne doit compléter en partant de son idée. Celui qui souhaite exprimer son texte a la possibilité de le mettre en chanson les vingt-dernières minutes avant que la séance se termine. Généralement, l'ambiance est conviviale, elle est tout aussi parfois mélancolique, mais les jeunes le disent souvent : « cela fait du bien d'avoir exprimé ce que l'on a dans le cœur et dans la tête ».
En cas de difficulté, un collègue est toujours présent quand une situation l'exige.
Durant l'atelier, j'essaie de lire sous les textes et les paroles exprimées. J'aide à développer les idées que les jeunes exposent en les faisant réfléchir sur l'instant même. Je suis en quelque sorte un outil qui tente d'accompagner la personne sur ce qui la blesse ou l'interroge afin qu'elle parvienne à poursuive son cheminement en mettant des mots sur ses problèmes comme sur ses joies.
Pourquoi ne pas s'attarder sur la clarté d'un texte?
J'ai effleuré la question au-dessus, je vais donc tenter d'y répondre ici.
Beaucoup de jeunes à l'école se sont sentis jugés par certain de leurs professeurs et ont été très vite situés en marge par rapport au reste de la classe. Ce constat ne laisse pas notre « bout de jeunesse » sans conséquences car ces logiques produisent de l'exclusion entre élèves et entre adultes : « On sait d'avance, dans telle matière, qui aura la meilleure ou la mauvaise note ». Ce n'est pas tout! Ces mécanismes entrainent un impact chez le jeune au niveau du manque de confiance et d'estime qu'il a envers lui. A l'école, il n'a souvent connu que le rejet. S'ajoutent, en plus de la souffrance vécue, ceux qui subissent furtivement des formes de maltraitance au sein de leurs familles, ressentent des mal-être personnels et indicibles. C'est pourquoi je ne m'attarde jamais sur la clarté du texte car la plus grande richesse se situe dans le fond. C'est un peu comme la beauté d'un homme ou d'une femme, elle ne s'écrit pas uniquement «physique»!
Soyez-en sûr, je n'ai pas affaire à des monstres ni à ceux que la société aime qualifier et appeler de « voyous » ou « délinquants », mais à des personnes qui ont soufferts d'injustice et qui débordent d'énergie en demandant implicitement d'être sécurisés et compris par les adultes. Je le mentionne souvent : la souffrance ne doit pas nous condamner à l'échec mais elle doit pouvoir, dans un certain sens, nous éduquer à la seule condition que l'on y retire quelque chose de bénéfique. Le vécu est un tremplin pour celui qui comprend d'où il vient et qui redéfinit son avenir. La victimisation est un piège, elle nous enferme et nous empêche de nous prendre en main.
Quel regard envers la société?
Celui qui n'a pas les compétences et les diplômes adéquats n'a, hélas, pas sa place dans la société. Le gouvernement culpabilise la jeunesse mais n'a jamais réellement cherché à la comprendre. Et il me semble que ce n'est pas en bouchant des trous que l'on résolve un problème. Les éducateurs ne sont pas contre la société, mais ils ont un regard critique sur les modes de pensées et sur les conditions humaines.
Par ailleurs, l'éducateur ne peut porter le poids du monde sur ses épaules. En effet, n'oublions pas qu'il est être humain avant tout et qu'il est un accompagnateur, marche au côté de l'Autre, pas derrière! Jusqu'à tant que celui-ci parvienne à le faire seul.
L'éducateur joue un rôle essentiel dans les espaces de médiation. D'abord dans la compréhension de la situation du jeune, puis de mise en action. Effectivement, il tentera par divers outils de mettre en mot tout ce qui travaille la personne. Pour ce faire, il devra construire une solide relation de confiance. L'éducateur devra aussi confronter le jeune, lui apprendre à respecter des limites, non pas pour affirmer sa dominance envers celui-ci, mais pour qu'il ne considère plus sa vie comme un fardeau. Dans mes ateliers d'écriture, j'essaie d'accompagner la personne à faire le passage d'un état de cloisonnement à celui d'un raisonnement.
Il n'est pas question d'un atelier où l'on déverse uniquement sa haine et sa colère mais bien d'un lieu où l'on réfléchit et où l'on se ressource, et ce, chacun en fonction de son histoire et de ses possibilités.
En tant qu'éducateurs, nous aimerions que chaque jeune puisse trouver le wagon qui lui corresponde mais le train de la société roule beaucoup trop vite.
Et puis, nous apprenons beaucoup à travers ces jeunes. Dans le travail en équipe, nous essayons de trouver à travers cet espace médiateur, de nouvelles pistes de travail pour consolider nos actions. J'aime observer le groupe mutualiser ses potentialités comme lorsque l'un d'entre-eux se trouve en difficulté à construire son texte, un autre vient « à son secours ».
De façon indirecte, je véhicule alors un message fort : « je suis là, mais entre vous, sachez-vous aider ».
L'atelier d'écriture est un travail de l'instant et de l'après. En effet, on tisse des liens de solidarité, on favorise la socialisation pendant l'atelier, et ces axes de travail se vérifie en dehors, c'est-à-dire dans les moments de la vie quotidienne (école, famille, amis).
Un jeune me disait qu'écrire lui permettait de mieux gérer ses relations avec sa famille, et d'être aussi plus concentré dans les cours d'apprentissage à l'école.
Quelle image et quelle forme de rap?
Je suis éducateur, mais je suis aussi chanteur et rappeur.
J'ai commencé la musique en 1998. A l'époque je n'avais rien pour pouvoir m'enregistrer en studio. J'avais surtout l'envie de crier les injustices dans le monde et témoigner de mes propres réalités.
Je pense que le rap n'est plus ce qu'il a été, mais il existe heureusement encore beaucoup de rappeurs qui ont des messages « revendicateurs réfléchis », qui parlent aussi d'amour dans leurs textes et prônent de vrais messages de paix. D'ailleurs, il faudrait que la société, comme beaucoup de gens l'entendent!
Nous sommes dans une époque bercée par les peurs où l'on se focalise sur les images que les médias transmettent, et malheureusement nous ne réfléchissons pas plus loin que « le bout de notre nez ». Les peurs sont humaines n'est-ce pas? Mais nous ne devrions pas laisser les médias faire notre éducation ni notre lieu d'instruction.
On a trop abordé le rap sous l'angle de la violence, d'incitation à la haine, ou d'un danger potentiel pour la jeunesse. Pourtant la musique la plus écoutée en France c'est le rap! Bien sûr, il existe des dérives dans cette musique mais elles sont minoritaires.
Le rap est l'une des musiques qui, contrairement aux idées reçues, réunit les gens, leur permet d'être compris dans les épreuves qu'ils rencontrent.
Dans ces ateliers d'écriture, les jeunes rappent leurs souffrances, leurs peines et leurs joies. Ils ont parfois une image vulgaire du rap. Mon travail avec eux est justement de leur faire comprendre que l'on peut être en désaccord avec quiconque, sans pour autant l'exprimer en vulgarité. En ce sens, le rap est un réel outil éducatif!