Lors d’une rencontre entre un intervenant et une famille immigrée, on se trouve inévitablement confronté à la problématique culturelle. Dans le domaine de la maltraitance, cette question peut s’avérer particulièrement vive et source d’incompréhension. Le fait, par exemple, de frapper un enfant est considéré différemment selon la culture.
En Turquie, on dit que «Celui qui ne lèvera pas la main sur sa fille, lèvera sa main sur ses propres genoux» pour signifier que si - pour l’éduquer – on ne frappe pas sa fille, on s’en repentira. Une autre sentence dit «La chair est à vous et les os à nous». Les parents utilisaient ce dicton lorsqu’ils confiaient leurs enfants aux maîtres chargés de leur apprendre un métier, ceux-ci avaient ainsi l’autorisation de les frapper «jusqu’à un certain point». Dans une situation similaire, au Maroc, le père qui confie son fils au maître de l’école coranique dira «Toi tu le tues, moi je l’enterre.»
En Afrique centrale, par la métaphore rappelant que
«La chèvre ne marche pas sans bâton» tout le monde comprendra qu’il faut parfois lever la main sur l’enfant pour qu’il s’avance sur le sentier de la vie. Cependant on rappellera également que «Le cœur du père saigne» quand il frappe son enfant. Cela ne le réjouit pas, mais il peut considérer qu’il ne remplirait pas son rôle s’il s’en abstenait. Mais, confronté aux institutions belges, il tombera des nues. «Je ne l’ai pourtant pas tué!», dira-t-il. Un autre, qui, ayant frappé son fils, s’était vu remettre
en cause dans une procédure judiciaire déclarera: «Puisque je ne l’élève pas correctement, que le juge s’en occupe. Pour moi, c’est fini!». Un troisième, sur un versant plus dépressif, dira «Je suis le père sans être père.»
On voit à quel point il est malaisé de s’en tenir de manière rigide à des règles préétablies, à une vision occidentale de la maltraitance. Mais à l’inverse, sous prétexte de tenir compte de la culture de l’autre, et donc de sa vérité en tant que sujet, faut-il accepter n’importe quel acte: du coup de savate à l’excision du clitoris? Certes non, mais comment faire la part des choses?
Afin de réfléchir ensemble comment se frayer un chemin parmi ces questions, nous avons organisé dans un premier temps une journée d’étude et une conférence avec Marie Rose Moro.
Ilknur Deveci, psychologue et Vincent Magos, psychanalyste
Marie Rose Moro