Télévision et développement de l’enfant

Un élément qui revêt à mes yeux une énorme importance et qui n’est pas suffisamment pris au sérieux aujourd’hui, est celui de la télévision et de sa fonction chez le tout petit enfant.


Quelques travaux ont été réalisés à ce sujet, mais trop peu à mon goût pour témoigner de la complexité et de la gravité de la situation. Craig Anderson , professeur de psychologie aux USA, dans une revue de la littérature à ce sujet a rappelé que « la plupart des études ayant démontré un lien causal entre l’exposition à la violence médiatique et les comportements agressifs en découlant ont été effectuées sur des individus qui étaient pleinement conscients que la violence médiatique qu’ils percevaient n’était pas la réalité ». Et parmi ses nombreuses conclusions, une m’a particulièrement intéressé : « l’exposition à la violence médiatique décroît l’accessibilité cognitive aux manières non violentes de gérer les conflits ».



Serge Tisseron bien connu pour ses travaux sur l’importance des images dans le fonctionnement psychique, dans son ouvrage « Enfants sous influence », insiste pour éviter tout jugement culpabilisant pour les parents, sur « accompagner au lieu d’interdire les images violentes ».



De même, le philosophe Dany-Robert Dufour, dans son ouvrage « L’art de réduire les têtes», insiste sur « le laminage des enfants par la télévision (qui) commence très tôt. Ceux qui arrivent aujourd’hui à l’école sont souvent gavés de petit écran dès leur plus jeune âge. Fait anthropologique nouveau, ils se retrouvent souvent devant l’écran avant de parler ».



Mais pour l’instant les études plus approfondies ne portent que sur la population des enfants après quatre ans. Or tous les pédiatres qui travaillent en maternité le disent, aujourd’hui, lors du premier jour de vie du bébé, quand il est l’heure d’examiner l’enfant avec les parents, il est devenu habituel de commencer par demander à ces parents d’éteindre la télévision dans la chambre de la parturiente. On ne peut continuer à dire et penser que cela n’aura pas d’influence sur le développement du bébé.



De nombreuses études ont mis en évidence l’importance de l’interpénétration des regards dès les premiers jours de vie, de l’attention conjointe dans les premiers mois. Comment ne pas prendre en compte l’intrusion de la télévision dans l’interaction bébé-parents ? Cela a évidemment une importance qu’il ne faut pas négliger, et notamment comme y insiste Dufour, justement du fait que cette « rencontre » a lieu avant la possibilité de la parole chez l’enfant ? Il ne s’agit pas ici de juger qui que ce soit ; cela n’est pas de mon domaine de compétence ; mais par contre, comment accompagner ces nouvelles manières d’être au monde pour le bébé dans son interaction avec ses parents ? Voilà la question qui se pose si on veut comprendre pourquoi et comment le nombre d’enfants hyperactifs augmente sans cesse.



En effet, quel est le statut de l’excitation qui s’empare du bébé lorsqu’il assiste à un nourrissage permanent de nature télévisuelle ? Comment en fait-il quelque chose ? Sous quelle forme ? Que devient cette excitation ? La manière dont est « métabolisée » cette excitation joue-t-elle un rôle dans la non bifurcation du musculaire vers la parole ? Et si les mouvements incontrôlables que les enfants hyperactifs présentaient en étaient une des formes dérivées possibles ? Même chose pour la violence ? Autant de questions qu’il conviendra de mettre au clair si l’on veut avancer dans la compréhension d’un tel phénomène sans le médicaliser d’une façon réductrice.
Mais que l’on se souvienne seulement de la différence entre un enfant tout petit qui écoute raconter par son parent une histoire avant de s’endormir en co-créant avec lui les représentations qu’il va intérioriser de ladite histoire et un autre enfant tout petit qui regarde une histoire « à la télé », à supposer même qu’elle lui soit destinée, ce qui est loin d’être toujours le cas.



L’histoire racontée « par la télé » laissera beaucoup moins de place à l’aspect créatif de l’enfant : la forme, le contenu, les décors sont imposés par le metteur en scène et l’enfant ne peut que recevoir la version qu’un autre a créée pour « son » téléspectateur. A un âge précoce, sa capacité à penser l’histoire n’est pas sollicitée ; il doit l’accepter comme telle. Et si dans certains cas, ce jeune enfant a la chance d’assister à ce spectacle en compagnie de son parent, ce qui pourrait alors permettre une reprise dans un échange émotionnel et de paroles facilitant pour l’enfant l’intériorisation de ce qu’il vient de voir, et de ce fait, la transformation de l’excitation télévisuelle en « affects et représentations », dans de trop nombreux cas, l’enfant est face à sa « nourrice » excitante-je propose de parler alors de l’allaitement télévisuel »-sans possibilité de s’en dégager par la pensée, et donc soumis au règne de l’obligatoire « décharge motrice » telle qu’elle a été décrite par Freud dans l’Entwurf. On ne peut pas faire l’économie d’un détour par l’étude de ce type de paramètres si l’on veut avancer dans la compréhension des troubles de la psychomotricité.


 


Ce texte est extrait du livret L’enfant hyperactif, son developpement et la prediction de la delinquance :qu’en penser aujourd’hui ? rédigé par Pierre Delion.

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