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Avant, Justine s'imaginait pendant des heures tenir un restaurant de luxe. Mais alors qu’elle a essayé récemment de jouer à faire cuire des carottes sur une fausse poêle dans ledit resto, elle se rend à l’évidence : ce jeu ne l’amuse plus. "Je suis devenue une pré-ado." Même diagnostic en grimpant sur un manège : "Avant je m’imaginais des histoires : il y avait Zorro derrière moi qui me poursuivait... Et là, c’est différent, je montais dessus et je m'ennuyais [...] J'essayais de revenir en enfance mais c’est trop tard. Quand t’es sortie, t’en rentres plus.
Imaginer des personnages et des histoires est une façon pour les enfants de mettre le monde à leur portée, de penser les possibles, de vivre par procuration un certain nombre de situations (prendre des risques, surmonter la mort d’un proche, résoudre un problème).
[...] Quitter l’enfance, est-ce claquer la porte aux mondes imaginaires omniprésents à cet âge-là ? Perd-on à jamais, en grandissant, la force pure de l’imagination enfantine ? A moins que l’imagination évolue ? " Paul L. Harris : "Je pense que jouer à faire semblant est juste un élément d’une capacité humaine plus large de penser à des alternatives à la réalité – une capacité qui ne décline pas avec l’âge."
Lire un roman et pleurer
Quand les enfants s’imaginent en professeur, en pilote de ligne ou en pirate, ils voient un monde fictif du point de vue d’un personnage imaginaire. L’adulte aussi pratique cette gymnastique : dans son livre, Paul L. Harris explique qu’il existe des continuités importantes entre le jeu de rôle des enfants et la lecture de fictions. L'adulte aussi joue à faire semblant (mais différemment). L’adulte voit le monde à travers un héros, la figure contée dans une biographie, etc. Absorbé par l’histoire, le lecteur met de côté la réalité, comme tout entier plongé dans la narration, jusqu’à ressentir des émotions, avoir accès aux pensées des personnages et se faire leur monologue intérieur. Pareil devant un film (s’il est réussi) : les évènements ayant lieu à l’intérieur d’un monde imaginaire, que l'on sait irréel, vont provoquer chez le spectateur des émotions.
Planifier notre avenir
"Avec notre imagination, nous pouvons penser et planifier notre avenir et revivre notre passé", développe Marjorie Taylor. L'enfant adore imaginer ce qu'il fera quand il sera grand. Mais l'adulte ne fait-il pas la même chose quand il se projette en parent ou prenant sa retraite (dans un cadre plus conforme à sa réalité, peut-être) ?
Comme pendant le jeu du semblant, l’adulte va mentalement feindre la discussion de rupture, songer à une destination de vacances, se représenter dans un nouveau travail, etc. Il n’imaginera probablement pas des monstres en train de le poursuivre mais son esprit se laissera aller à rêver, à se projeter, à fantasmer, à recréer des scènes vécues ("qu’est-ce qu’il serait arrivé si… ?").
Imaginer, c'est "suspendre le côté raisonnable pour s’abandonner à des moments de rêveries, vivre une expérience", développe Philippe Jeammet, psychiatrie et psychanalyste. "On a cette capacité à faire coexister les deux. Cette souplesse est un signe de santé." Imaginer, c'est comme naviguer sur l'eau sans oublier l'existence de la côte.
Et alterner : mer et terre, terre et mer...