[Extrait de livre] On dirait qu’on part en vacances … on dirait qu’on n’a pas de papa et maman … on dirait qu’on est pauvre …

L’imagination de l’enfant est connue pour être débordante et il est vrai que les histoires qu’il raconte et invente, semblent illimitées. L’aire de jeux qu’ils se sont créée pour inventer ainsi des scénariios tous plus invraisemblables les uns que les autres, a été appelée par D. Winnicott « l’aire d’illusion ». Cette aire est un espace-temps durant lequel les enfants jouent à faire semblant, à être un autre que soi, mais aussi à projeter ses pires cauchemars les jouant encore et encore pour les exorciser le plus possible. Les thèmes de la mort, de la pauvreté, de la perte, de la violence, du conflit sont l’expression de préoccupations propres à l’enfance. Derrière ces jeux, il faut lire la question de l’autorité, de la peur de grandir, de la crainte de perdre ceux qu’on aime, d’être fragile, seul ... Là nous pouvons mesurer pleinement que le jeu est une activité de vie, c’est-à-dire au service de la vie psychique, permettant au récit personnel de l’enfant d’advenir. Là est un sujet majeur dans le développement de l’enfant, lui laisser le temps de construire des structures narratives dans lesquelles il advient. C’est dans des activités ludiques de faire semblant, en faisant comme si, que l’enfant peut ressentir en se mettant dans la peau d’un autre, parfois dans un costume de héros, qu’il devient lui-même. Jouer c’est penser, jouer c’est se penser et penser l’autre. Nous avons vu précédemment que pour jouer il faut pouvoir se dégager de l’autre, se séparer de la mère et du père, jouer la séparation pour devenir un enfant joueur qui entre dans le « playing », « l’acte de jouer ». De là émergera le « je » créateur de l’enfant, Sujet de son discours.

Dans le faire-semblant, tous les participants sont d’accord sur l’illusion organisée. Ils en acceptent les règles et inventent au fur et à mesure. Jamais en début de jeux, ils savent de quoi l’histoire va être faite. Chaque enfant va y mettre de sa construction psychique et donc projeter ses préoccupations affectives, c’est-à-dire son intimité. Parfois les enfants se retrouvent en harmonie et avancent ensemble dans le récit car les préoccupations inconscientes sont communes et proches. D’autres fois, un enfant se trouve bousculé par l’histoire inventée, la conteste, se dispute, sort du jeu. Si les parents peuvent tenter de comprendre l’enfant qui s’exclut ou qui est exclu, nous ne pouvons que vous recommander la prudence et ne pas critiquer l’histoire posée par le groupe d’enfants. On peut tenter de favoriser la reprise du jeu par l’enfant qui en est sorti mais cela n’est pas toujours possible. Cela ne demande pas de gronder les enfants joueurs, ni de s’immiscer dans le jeu créé, et de mettre des règles qui n’ont pas de raison d’être. Une aire d’illusion n’est pas la vraie vie, et échappe à tout jugement de valeur. Le jeu du faire semblant crée un espace du tout est possible, qui permet des projections multiples avec des mécanismes d’identification et contre-identification bénéfiques pour les enfants.

Ces temps entre parenthèses sont aussi des moments de projections anxiogènes collectives qui soulagent les enfants. C’est une forme d’extériorisation d’un trop plein de préoccupations psychiques inhérentes à la croissance. L’enfant n’est pas simplement anxieux en réponse à des tempéraments parentaux anxieux. Il a aussi ses raisons psychiques liées à sa croissance qui ne peuvent pas être ignorées. Aucun enfant n’est serein, mais nombreux sont ceux qui savent dépasser leurs craintes en silence et sans heurts. Cela nous laisse imaginer que l’enfant image, sage, calme, obéissant et jamais révolté, existe. Soyons clair, cet enfant-là n’existe pas. Tous les enfants ont besoin d’exprimer leur vie intérieure. Chacun le fait avec des modes d’expression plus ou moins visibles, parfois bruyants, parfois même dérangeants.

Avant de quitter cette question de jeux entre enfants du même âge, basée sur la découverte de la différence des sexes, quelques mots sur le thème de la prévention qui a tendance sur la question de la sexualité des enfants, à diaboliser certains comportements d’enfants et à faire paniquer les parents. Justement l’occasion de dire que prévenir ne veut pas dire paniquer les parents. Résistons ensemble et apprenons à distinguer ce qui est de l’ordre du jeu et de la découverte consentie, de ce qui relève de l’abus, voire du jeu forcé. Très clairement la curiosité n’est pas de l’abus, de même que l’inverse est vrai. Si un enfant vient se plaindre de ce que son copain l’embête « parce qu’il veut voir son kiki et que lui, il ne veut pas », l’adulte est là pour poser fermement les interdits. Dans une telle situation, l’adulte doit pouvoir dire à l’enfant curieux que, si ces questions l’intéressent, c’est très bien. On peut d’ailleurs l’emmener choisir un livre qui explique le corps des filles et des garçons. Mais ce qui est interdit, c’est de déshabiller son copain ou sa copine, de le (la) toucher avec ou sans son consentement. Il faut que l’enfant entende que ce n’est pas sa curiosité qui est blâmée et limitée, mais son mode d’agir pour la satisfaire. La limite est claire : le jeu est un jeu de faire semblant, « on ne fait pas pour de vrai ». La fonction du parent est ici de clairement délimiter le jeu si les enfants ne le font pas d’eux-mêmes. D’ailleurs dans ces situations où le jeu perd de sa consistance ludique, les enfants s’agitent, font du bruit et d’une certaine manière ils « font venir les parents » ou « les professionnels » qui interpellent alors les enfants sur ce qui se passe. Les parents (les adultes présents) ainsi alertés posent les limites protectrices. Il en est ainsi avec les jeux où les enfants ensemble s’excitent et se mettent en danger. Un rappel à l’ordre est nécessaire. Les plaintes d’abus et voire même de «  viol  » d’un enfant de 4 ans par un enfant de 4 ans est une défaillance du monde des adultes et doit nous questionner. De quel abus parle-ton?

Faites confiance aux enfants, leur capacité de compréhension est hors norme. N’oublions jamais que les interrogations sexuelles d’un enfant sont à l’origine de toutes les autres formes de curiosité. « L’enfant pense avec son sexe » aurait pu être le titre de ce chapitre si j’avais été un peu plus téméraire.

in Sophie Marinopoulos, Jouer pour grandir, Temps d'arrêt 60, yapaka, PP 33-36, 2013

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