Billet invité
Lettre de Joël Van Cauter, Philosophe et économiste, dont la femme a été assassinée voici 20 ans - Publication originale dans La Libre
Que le fleuve aille à la mer
Mesdames,
Ce mot pour vous faire part d’affection, de compréhension et d’encouragement.
La décision d’accueillir Michelle Martin est la vôtre.
Elle est cohérente avec votre engagement spirituel et humain.
Les réactions auxquelles vous devez faire face sont, je crois, aussi déraisonnables et myopes que l’était, en son temps, la vague blanche.
Philosophe, père de trois enfants, originaire de la campagne hesbignonne, vivant en Inde depuis plusieurs années, je suis agnostique.
Je crois que l’Eglise catholique romaine est, comme l’histoire le montre, une machine de pouvoir qui a plus souvent été du côté des puissants que des misérables.
Je crois que l’Eglise, en particulier en Belgique, a des positions souvent rétrogrades, fermées et imbéciles, notamment sur les questions de mœurs. La manière dont elle "gère" aujourd’hui en son sein les questions de pédophilie me paraît affligeante et indigne.
Je ne suis donc pas grand buveur d’eau bénite.
Pourtant
Il y a près de 20 ans, ma première femme a été assassinée. Je n’ai jamais pardonné à l’assassin. Je ne compte pas le faire. Mais si je ne lui pardonne pas à titre personnel, je ne crois pas qu’un être qui a tué puisse être réduit à un seul de ses gestes, même si ce geste relève du pire.
Au contraire, je crois que celui qui a fait mal doit pouvoir grandir, par la confrontation au négatif qu’il a incarné, engendré, à un moment.
Je crois que l’assassin est ainsi confronté au même mouvement que les proches de la victime, victimes elles-mêmes. On parlera de rédemption d’un côté, de deuil de l’autre. Ce ne sont que des mots. Figés, ils ne disent pas le cheminement, le tâtonnement, l’incertain, le doute. Ils ne disent pas la douleur. Ils ne disent pas assez le murissement, ce fruit de la vie qui peut être belle et bonne, malgré tout.
Refuser la libération conditionnelle, que la loi autorise à certaines conditions, c’est maintenir le coupable et la victime enfermés dans un même passé. Permettre à un prisonnier qui en a le droit de quitter une prison, c’est permettre que le fleuve aille à la mer.
Mesdames, je ne vous connais pas.
Il est probable que nous ne partagions pas les mêmes idées, peut-être pas toutes les mêmes valeurs.
J’ai néanmoins la conviction, comme homme et comme citoyen, qu’il faut que des personnes telles que vous jouent le rôle d’accueil que vous vous apprêtez à jouer, si la Cour de Cassation le permet.
Tenez bon.