Sourire aux anges, un moyen précieux du bébé pour exprimer son état de bien-être, suscite une réponse chaleureuse du parent dont le bébé bénéficie en retour. Sur une même modalité de régulation réciproque, les pleurs, en l’absence du langage, sont un mode de communication essentiel au bébé. Son parent apprend peu à peu à les comprendre, à les décoder, à faire la différence entre les pleurs qui signalent la faim, l’inconfort, une douleur de reflux, le besoin d’être pris dans les bras, une émotion débordante…
Et l’enfant fait progressivement l’expérience que ses pleurs suscitent une réponse le plus souvent appropriée de son parent. Les pleurs représentent à ce titre un mécanisme essentiel au lien d’attachement enfant-parent et une occasion pour le bébé de se découvrir et de découvrir le monde environnant.
Si les pleurs sont utiles au bébé, ils appellent à être accompagnés. Comprendre que les pleurs sont un mode d’expression du bébé et non la manifestation de sa désolation totale, ou encore qu‘ils ne sont pas un test du parent ou du professionnel permet d’en ajuster progressivement l’accompagnement.
Nécessaires au bébé, les pleurs mettent les parents à rude épreuve
Véritable outil de son développement relationnel, émotionnel et physique, les pleurs du bébé sont un moyen vital pour exprimer ses besoins, particulièrement au cours des premiers mois de sa vie. Pleurer est pour lui aussi une modalité qui fait baisser la tension. La fin de journée est particulièrement propice à une décharge des tensions pour préparer à la tranquillité de la nuit.
Mais, la stridence et la persistance des cris suscitent fatigue et énervement chez le parent qui peut se sentir angoissé de mal faire, d’autant plus face aux conseils parfois divergents. Démuni, ébranlé dans ses compétences face à ce bébé hurleur, il peut éprouver de l’agacement, de la peur, une totale impuissance voire de la haine. Pour un parent qui mobilise tant d’ingéniosité et de générosité à calmer son bébé, la persistance des pleurs peut susciter des crispations dans son propre corps, une tension dans la voix, dans les expressions faciales… autant de micro-stress qui seront perçus en retour par le bébé, parfois dans un cercle bouleversant pour les parents, le bébé et aussi le couple. Cette spirale est renforcée encore par des conditions de vie précarisées et par un seuil de tolérance propre à chacun.
De plus, sans que nous n’en ayons toujours conscience, les cris du nourrisson nous renvoient au bébé que nous avons été. Pour le parent qui n’a pu faire l’expérience de réponses adéquates et de consolations à ses pleurs en tant qu’enfant, il sera parfois difficile d’accompagner le bébé dans ces moments. Il en va de même pour le professionnel qui n’a pas été accompagné enfant sur le chemin des pleurs : s’occuper d’un bébé inconsolable en collectivité peut nous toucher dans nos propres fragilités, en surplus du volume sonore insupportable pour tous.
Laisser pleurer le bébé ?
Au même titre que l’adulte ne peut éviter toute frustration au bébé et à l’enfant, il ne s’agit pas de l’empêcher de pleurer, mais de l’accompagner dans ces moments de pleurs et de lui permettre de dépasser l’émotion en présence, l’inconfort du corps. Face à la vulnérabilité du bébé qui vient de naître, la réponse sera certainement plus immédiate. Cette réponse de l’adulte s’ajustera ensuite à l’âge de l’enfant. Ainsi, elle pourra, peu à peu, être différée, en fonction du décodage fait des pleurs et de la capacité du tout-petit à faire face aux différentes situations qu’il vit. Verbaliser les pleurs permet au bébé de comprendre ce qu'il ressent et les tensions qu'il éprouve : faim, froid, surcharge d'excitation sensorielle, solitude, ennui, besoin de consolation, fatigue...
Les mots de l'adulte adressés au bébé, l'intonation qui module la voix ont des vertus apaisantes. Ils ouvrent l’accès au langage et participent au processus de singularisation de l'enfant, en reconnaissant le bébé comme ayant des besoins et une expression à part entière, différent de son parent. Calmer le bébé et le jeune enfant appelle à comprendre ces différents scénarios dits par les pleurs et assurer une réponse à ses besoins voire parfois en comprendre le signe d’une pathologie à prendre en charge.
Par ailleurs, chaque bébé dispose d’une sensibilité propre aux pleurs et à la capacité d’être consolé : certains bébés résonneront au bénéfice de la voix (chanson douce), d’autres au toucher (bercement, massage…). Parfois, privilégier un seul canal à la fois (sensoriel ou auditif ou ...) permettra au bébé de ne pas se sentir envahi en surplus de son propre débordement. Certains bébés ont une sensibilité exacerbée, une excitabilité à fleur de peau. L’adulte doit alors se montrer créatif pour contenir l’enfant, lui permettre de retrouver l’apaisement en lui, le consoler.
Déjouer le survoltage des pleurs
Face à un bébé qui n’arrête pas de pleurer, on sort de cet univers de compréhension et de construction réciproque. Le bébé reste inconsolable alors que son parent déconcerté voire dépassé et inquiet va multiplier les tentatives de réponses vaines. Ce qui aura pour effet parfois d’amener le bébé à se sentir plus désorganisé encore.
L’angoisse des parents est alors mise à rude épreuve ; sentiment d’incompétence et d’impuissance sont de véritables pièges. Le phénomène du bébé secoué résulte de cette tension extrême.
Ressentir de l’agressivité dans un tel contexte de tension ne veut pas dire qu’elle va être agie. Toutefois, réfléchir entre parents et avec l’aide d’un professionnel, du pédiatre, permet de déjouer les pièges de l’impuissance, de l’énervement, de la colère et du passage à l’acte sur l’enfant. Réfléchir avec le parent (ou en équipe de professionnels) à ce que les pleurs traduisent de l’enfant, questionner ce qu’ils évoquent pour l’adulte, sa difficulté à y répondre, en quoi cela le renvoie au bébé qu’il a lui-même été sont autant d’occasions de décodage qui participeront à un contexte plus serein, (un peu) détendu pour prévenir les tensions extrêmes. Repérer ses limites et confier le bébé à l’autre parent, à son collègue…, faire appel à l’entourage voire laisser l’enfant pleurer, un peu à l’écart, s’isoler soi-même du bruit… sont autant de pistes à ajuster pour déjouer les pièges d’un survoltage en cours.
En tant que professionnel, contenir un parent dans sa difficulté à contenir les pleurs de son enfant aide ce dernier à s’apaiser et soutient le parent dans un apprentissage progressif.