[Texte] L’accueil des enfants migrants en collectivité

En tant que professionnel, nous sommes parfois happés par les parcours de migration des enfants que nous accompagnons, parce que nous accueillons un enfant en cours d’année à son arrivée en Belgique, parce qu’un enfant se confie sur les épreuves qu’il a vécues pendant l’exil ou encore plus simplement en observant son intégration scolaire et ses tentatives pour concilier ses codes socioculturels et ceux de l’école. Ces situations singulières peuvent nous renvoyer à un sentiment d’impuissance : comment agir sur des contextes de migration aux conséquences lourdes pour les enfants ? Mais elles nous renvoient aussi à notre capacité de réflexion et au soutien qu’il est possible d’apporter aux enfants ayant vécu la migration ainsi qu’à leurs parents. Cette posture appelle un double mouvement pour le professionnel : pouvoir se laisser toucher par l’enfant et ce qu’il traverse, mais également pouvoir prendre une juste distance par rapport aux situations rencontrées. Cette position implique que l’intervenant puisse se décentrer de son cadre de référence, de ses croyances et de ses repères habituels, qui seront très souvent chamboulés dans le contexte des relations interculturelles.

Les univers culturels
Grandir au milieu de différents univers culturels, cela peut être compliqué. En situation de migration, l’enfant doit apprendre de toutes nouvelles façons de faire, d’être et de penser. Il doit apprendre une nouvelle langue, se familiariser avec des valeurs et des pratiques culturelles distinctes de celles qui ont imprégné son univers familial.

Parfois cela peut le mettre en difficulté. A l’école, par exemple, certains de ces enfants peuvent s’opposer à l’enseignant, aux apprentissages car ceux-ci reflètent un monde qui n’est pas le leur. Comment alors permettre à ces enfants de s’emparer de ce nouveau monde sans qu’ils aient le sentiment de trahir ou de s’éloigner de leur culture et de leurs proches ?

Loyautés en migration
Ces conflits de loyauté jalonnent les trajectoires des enfants qui ont vécu la migration ou celle de leurs parents. En effet, les enfants ont le besoin et le désir d’être fidèles aux valeurs et prescriptions familiales sanctuarisées par le processus migratoire : perpétuation de l’héritage familial, volonté de réussite sociale, … La migration parfois marquée des traumatismes dans le pays d’origine peut aussi créer un refus de la culture première. Mais les enfants sont aussi animés par le désir d’habiter pleinement leur nouveau rôle dans la société d’installation et de se conformer aux attentes de l’école, des pairs, etc. avec tous les défis que cela comporte.

Ces loyautés de l’enfant à ses différentes appartenances colorent ses pensées, ses affects et aussi ses actions. Elles viennent nous dire ce qui se joue pour l’enfant dans ses liens avec sa famille et avec son nouvel environnement. Aussi, cela nous questionne par rapport à nos pratiques professionnelles et au rôle que nous pouvons prendre pour accueillir et accompagner l’enfant et sa famille.

Les enjeux de la migration
L’accueil bienveillant de ces enfants dans nos classes, dans les activités de loisirs, etc. passe surtout par une compréhension des enjeux de la migration et des conséquences sur le plan psychique et matériel pour les enfants et leurs parents.

En effet, en migration, l’enfant et sa famille sont au centre d’une temporalité particulière : le temps qui a précédé la migration, le chemin de l’exil et l’installation, provisoire ou permanente, dans la nouvelle société. Et chacun de ces temps peut être ponctué d’expériences complexes et de difficultés. Ainsi, parfois, la famille vit, dans l’insécurité, au rythme d’une procédure de demande d’asile et se trouve plongée dans une très longue attente qui empêche chacun de se projeter dans l’avenir. Dans des situations précaires, les parents peuvent alors se trouver en grande difficulté pour exercer leur parentalité.

L’exil brouille les logiques de filiation et même les rapports de génération. Ainsi, par exemple, des professionnels évoquent des cas d’enfants parentifiés, c’est-à-dire qui deviennent comme des parents pour leurs parents. Les rôles sont inversés : les enfants traduisent pour les adultes, gèrent les tâches administratives, s’occupent des frères et sœurs, etc. Ce sont eux les ponts entre la famille et la société d’accueil. Si cette fonction peut faciliter le processus d’intégration de la famille, elle est lourde pour l’enfant.

La situation de migration complexifie non seulement les liens de filiation (relation parents-enfant) mais aussi les processus d’affiliation (besoin d’appartenance à un groupe social). L’inclusion dans les groupes sociaux - dans le pays d’accueil mais également dans le pays d’origine – peut être traversée par de nombreux obstacles allant du jugement social à des comportements de rejet et de discrimination. Certains migrants sont stigmatisés au pays d’origine en raison du projet de migration, du processus d’acculturation, etc. Et dans la société d’installation, les personnes issues de l’immigration sont souvent victimes de préjugés et d’exclusion sociale.

Capacité créatrice
Face à tout ça, les enfants de la migration peuvent faire preuve de capacités créatrices étonnantes. C’est à travers l’articulation, la fusion, la transformation des différentes appartenances socioculturelles que les enfants pourront naviguer d’un monde à l’autre et s’adapter aux différentes sphères sociales et culturelles. La création de cultures hybrides, nouvelles, métissées constitue un défi pour l’enfant mais également pour le professionnel présent à ses côtés. Il est important que le professionnel puisse être à l’écoute de l’enfant et sa famille dans ce temps de l’adaptation. Cette posture d’accompagnement est complexe, elle nécessite que le professionnel puisse se dégager de ses propres représentations afin de rester ancré dans la singularité de la rencontre avec l’enfant. C’est dans cette présence bienveillante et rassurante que l’enfant pourra mobiliser ses ressources et déployer toute sa capacité créatrice.

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