Les écrans sont omniprésents dans nos vies, comment dès lors penser leur utilisation avec les enfants, les adolescents à l’école ? Comment dans nos métiers tenir une position d’équilibre en les invitant à se déconnecter de leurs propres écrans et dans le même temps, leur en imposer une utilisation de plus en plus massive pour faire leurs devoirs, communiquer… ?
Concernant l’enseignement maternel, aucune plus-value de l’utilisation des écrans pour les moins de 6 ans n’ayant été démontrée, à cet âge, les apprentissages en 3 dimensions, l’exploration, le toucher, la manipulation, le mouvement, le jeu… sont toujours à privilégier. Donner sens par l’expérimentation reste une nécessité pour apprendre tout au long du parcours scolaire.
L’éducation au et par le numérique s’inscrit dans les textes pédagogiques, elle est devenue un vrai axe de travail pour les enseignants tant à l’école primaire qu’en secondaire. Ce qui, au vu des évolutions sociétales et de la fracture numérique à l’œuvre, est une nécessité, l’école ne pouvant faire l’économie d’une éducation au numérique. Mais comment, en tant qu’enseignant, appréhender ces changements qui impactent inexorablement les dynamiques en classe : entre élèves, entre élèves et enseignants… Les écrans, lorsqu’ils ne sont pas pensés dans une voie relationnelle, collective, peuvent véritablement faire écran : entre enfants et enseignants, entre enfants, entre l’enfant et lui-même. Comment penser ces questions en regard de leur développement ? Quels sont les avantages et les inconvénients de l’utilisation des écrans au sein d’une classe ?
Education au et par le numérique ?
L’éducation au numérique comprend toutes les activités qui permettent une utilisation plus éclairée des écrans : taper au clavier, envoyer des mails, comprendre les enjeux des réseaux sociaux, des algorithmes, des fake news, du droit à l’image et à l’intimité, permettre un recul sur les images qui circulent, développer l’esprit critique…
De l’autre côté, il y a l’éducation par le numérique qui consiste à utiliser le numérique pour travailler d’autres compétences : réaliser des exercices de mathématique ou de français sur une tablette…
Si l’éducation au numérique est essentielle pour que tous les enfants puissent développer des compétences indispensables à la vie dans notre société, les apprentissages par le numérique méritent d’être pensés et réfléchis à la lumière de toute une série d’éléments. Notons que nous n’abordons pas ici le cas des enfants à besoins spécifiques dont le quotidien scolaire peut être facilité par l’utilisation de la technologie.
L’éducation par le numérique
L’éducation au sens large et l’apprentissage passe par le relationnel, par la transmission physique, émotionnelle, par l’accordage entre l’adulte et l’enfant, dans le plaisir de l’adulte à faire découvrir de nouvelles choses mais aussi dans les échanges qui peuvent avoir lieu avec l’ensemble du groupe, les regards échangés, l’attention portée à chacun…
Il est parfois tentant pour un enseignant de numériser certains exercices : être seul face à une classe avec trop d’enfants, ayant chacun leurs difficultés, leurs particularités peut être fatiguant et exigeant. Mais, la lecture d’une dictée par une tablette n’aura pas les mêmes vertus que lorsque l’adulte fait la lecture à voix haute, ajuste le rythme à l’enfant qu’il remarque plus lent. La transmission orale par un enseignant présent physiquement ne pourra jamais être remplacée par un écran. Et ces moments sont essentiels pour faire expérimenter aux enfants le collectif, être un parmi tous les autres.
Quelques éléments permettent d’interroger la pertinence de l’utilisation d’écran en regard d’une activité donnée.
Tout d’abord, au regard du temps passé sur les écrans par les enfants dans leur vie quotidienne (maison, lieux de loisirs…) et des conséquences que cela a sur leur santé - obésité, myopie (notamment par le manque d’exposition à la lumière naturelle et à la distance œil écran trop courte induite par les tablettes et autres smartphones), troubles de la posture (douleurs au niveau de la nuque…) –, il est indispensable de mesurer la réelle plus-value sur le long terme lors de tel ou tel apprentissage.
Ensuite, avant de décider de faire des exercices sur écran, il est essentiel que la compétence qu’on souhaite travailler ait été acquise par la manipulation et intégrée par le corps, en trois dimensions. Par exemple, avant de proposer une activité de mesure, il faut que l’enfant ait pu éprouver ce que représente un mètre avec son corps, manipuler des réglettes, peser des pommes… Ou encore avant de faire une rédaction sur tablette, l’enfant doit avoir acquis l’écriture manuscrite, les notions d’avant – pendant – après que l’on acquiert notamment en tournant les pages d’un livre.
Enfin, les écrans ont profondément transformé notre rapport au temps, tout doit aller vite ; les lenteurs, le rythme du vivant sont devenus difficilement supportables. Or, l’école est un des lieux essentiels où les enfants expérimentent et apprennent la concentration, la patience, « le temps long », la frustration, le travail, l’effort (l’écriture manuscrite, par exemple, est bien plus exigeante que l’écriture numérique).
Utilisation des écrans en classe ?
S’ils sont utilisés avec parcimonie et créativité, les écrans, d’autant plus s’ils sont partagés, peuvent véritablement être supports à l’échange, à la discussion, à la circulation de l’information et motiver, mobiliser enfants et adolescents autour d’une activité commune. Cela passera par exemple par le fait que les enfants travaillent collectivement autour d’un seul et même support (en petit groupe par exemple). Lorsqu’ils sont utilisés trop régulièrement, l’attrait des écrans, leur capacité à susciter l’intérêt et booster la motivation s’effilochent.
Plus largement encore, l’utilisation des écrans a des répercussions à tous les niveaux. Par exemple, les applications utilisées pour communiquer avec les parents ont des impacts : Que se passe-t-il quand un parent reçoit le bulletin de son adolescent avant même que ce dernier ait pu penser à la manière dont il allait aborder ses échecs avec eux ? Quelle place reste-t-il aux enfants pour leur récit quand leurs parents reçoivent des photos en continu de ce qu’ils font comme activité dans la classe ? Et, que penser aussi du parent qui perd le lien avec l’école par difficultés d’accès aux technologies ?
Ces questions des écrans au sein des classes, d’une école toute entière devraient toujours faire l’objet de débats, de discussions au sein de l’équipe éducative. Et cela afin que les objectifs poursuivis à travers les activités sur écran et en amont, que l’équipement en matériel informatique soient pensés et imaginés avant tout en regard du développement des enfants.
Illustration : Quentin Van Gysel