[Texte] Soutenir les familles en situation de pauvreté

En tant que professionnel rencontrant des familles, la crise économique actuelle nous confronte à de sérieux défis. Les familles que nous accompagnons se trouvent parfois dans des situations de précarité et de pauvreté importante. Sur le terrain, nous devons alors faire face à des situations de plus en plus difficiles : des parents qui ne parviennent plus à payer les cotisations pour les activités des enfants, des enfants qui arrivent à l’école sans avoir pu déjeuner, des parents dans l’impossibilité d’acheter le matériel scolaire ou de sport de leurs enfants, l’anxiété des adultes et des enfants résultant d’une situation de vie précaire, etc.

Ces situations peuvent nous mettre dans un sentiment de grand désarroi. Comment aider les familles et préserver les enfants et les jeunes dont nous nous occupons ? La pauvreté a ceci de particulier qu’elle nous confronte tous et toutes à un fort sentiment d’impuissance face aux injustices vécues. Comment surmonter nos découragements et continuer à élaborer des pratiques professionnelles étayantes pour les familles ? Même si nous ne disposons pas d’une baguette magique pour résoudre les problèmes rencontrés par les familles, nous pouvons, par notre écoute et notre présence quotidienne pour certain-e-s d’entre nous, par la recherche de solutions créatives à partir du vécu et des habitudes de débrouille des familles, participer à soutenir leur dignité.

Reconnaissance des vulnérabilités psychosociales
La précarité et la pauvreté risquent évidemment de fragiliser la parentalité. La précarité économique s'accompagne de difficultés d'insertion sociale et génère de l'isolement et de la précarité psychologique. Or, l’association d’une précarité économique, professionnelle et relationnelle exacerbe les tensions, le stress, l’isolement1. Il importe d’accompagner les parents en prenant en compte toutes ces composantes de la précarité (matérielle et dans les relations). A cet égard, reconnaitre les facteurs de risque pour les familles et reconnaitre que tous les individus sont susceptibles d’y être confrontés à un moment ou un autre de leur parcours, renforce une posture professionnelle soutenante. Cela permet de ne pas faire porter aux familles le poids de leur situation. Situer la situation des familles dans les contextes sociaux, politiques et économiques permet d’éviter de se focaliser uniquement sur les caractéristiques et les responsabilités individuelles en prenant en compte les causes structurelles des problèmes.

… et aussi de la débrouille des familles
Les familles vivant de la pauvreté sont souvent perçues comme victimes, négligentes, passives, ayant besoin d’être sauvées et assistées. Ces représentations peuvent produire des asymétries de place, de savoir et de position entre personnes en pauvreté et travailleur·se·s, et enferment les familles dans des identités figées, immuables. Comment veiller à ne pas déposséder les parents de leur capacité d’agir en mettant en valeur leur pouvoir d’action ? Pour ne pas nous laisser envahir par nos représentations et laisser les familles, adultes et enfants, déployer leur singularité et leur créativité dans ces situations difficiles, autorisons-nous à "aller à la rencontre des personnes là où elles se trouvent2". Rejoindre les familles là où elles se trouvent au-delà de l’accompagnement physique de proximité, c’est surtout chercher à comprendre leur réalité. En effet, il peut arriver que nous soyons émus, sidérés par les contextes de vie des familles. Parfois, aussi, on peut ne pas comprendre leur réalité. Par exemple, nous pourrions imaginer que les familles pauvres ont plus de temps que les autres, qu’elles pourraient s’activer davantage pour améliorer leur situation. Or elles sont confrontées à de nombreuses contraintes, une sorte de temps « suspendu » dans lequel elles attendent sans cesse (dans les files de l’aide sociale, de la distribution des colis alimentaires, pour des démarches administratives, etc.), et encore plus dans un contexte ambiant renforcé par la dématérialisation de la plupart des services administratifs.

Dès lors, pour voir tout le potentiel d’agir des familles, laissons-nous embarquer par leur histoire. Ecoutons les parents, renforçons leur place qu’ils ont peut-être désinvestie en regard du jugement social et d’un sentiment de honte. Ces familles ne disposent peut-être pas de ressources matérielles, mais elles sont riches de tas de compétences, invisibilisées dans le social. Valoriser celles-ci permettra aux parents de retrouver une place, une légitimité. Et même si le soutien de l'enfant en contexte de pauvreté peut se révéler délicat car la situation de pauvreté rend l'approche des personnes difficiles, développons encore davantage avec les parents précarisés cette précieuse alliance éducative afin qu’ils se sentent entendus et en confiance dans les lieux d’accueil de leur enfant. Le soutien s'effectue sur la base de l'écoute attentive de l'enfant lui-même, de son entourage et peut prendre plusieurs formes comme notamment le soutien scolaire de l'enfant ainsi celui des parents par rapport à la scolarité de leur enfant afin de les revalider dans la place qu’ils peuvent prendre dans la scolarité. Au-delà du scolaire, les autres sphères de socialisation doivent également être intégrées dans la démarche de soutien de la socialisation en contexte de pauvreté.

Tout un réseau d’entraide
Pour enrayer la logique de précarisation et permettre aux parents et aux enfants de retrouver une dignité, il est essentiel de mobiliser les professionnels de l’aide spécialisée en matière de lutte contre la pauvreté. Les collaborations avec les CPAS pour l’accès au logement, le secteur de l’aide à la gestion de l’endettement, les mutualités, les associations actives auprès des publics précarisés, etc. permettront de chercher à améliorer les conditions de vie matérielles des familles en pauvreté et de leur permettre de retrouver une dignité. Ces collaborations nous permettront aussi de ne pas rester seuls avec nos inquiétudes. Nous pourrons partager les situations difficiles et nous faire accompagner. N’hésitons pas non plus à nous appuyer sur le réseau de proximité pour soutenir les familles. Comment l’école, par exemple, peut-elle mettre en œuvre des mesures de solidarité pour tous les enfants (comme organiser des petits déjeuners collectifs et quotidiens) et aussi avoir une attention au cas par cas pour aider les familles démunies. Des maisons de jeunes, AMO et autres organisations de jeunesse, ainsi que certains centres et clubs sportifs proposent localement des dispositifs et des projets pour rendre accessibles les loisirs et le sport aux familles plus démunies. La solidarité peut prendre des formes multiples. Partageons en équipe et avec nos réseaux pour ne pas nous laisser gagner par l’impuissance. C’est dans un maillage d’acteurs et d’actrices engagés pour la solidarité, chacun, chacune  dans nos missions et notre humanité, que nous pourrons déployer des espaces rassurants pour les familles.


[2] Le document « POUR UN ACCOMPAGNEMENT DES FAMILLES EN SITUATION DE VULNÉRABILITÉS PSYCHOSOCIALES » réalisé par l’ONE (2019), permet d’approfondir les défis rencontrés par les professionnels qui accompagnent les familles en pauvreté. Accompagnement-des-familles-en-situation-vulnerabilites-psychosociales.pdf (one.be)

Illustration : Quentin Van Gysel 

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