Séparation parentale, synonyme de crise
Qu’une séparation parentale soit soudaine ou qu’elle fasse suite à des années de conflits, qu’elle soit consensuelle ou conflictuelle, elle marque toujours une crise. Un déséquilibre survient, le quotidien, les repères que parents et enfants avaient connus jusqu’alors sont bouleversés. Cette phase de décomposition familiale confronte chacun à un panel d’émotions, de difficultés, de questions et tous y réagiront selon leur histoire, leur tempérament, leurs croyances, leurs fragilités.
Retrouver un certain équilibre, reconstruire son monde après un tel événement prend du temps, nécessite de la patience et va mobiliser les capacités d’adaptation de chacun.
Et que le divorce soit presque devenu une norme sociale ne change rien au fait que cela reste une épreuve à traverser.
Qu’est ce qui se joue pour l’enfant ?
Il n’est pas possible de prédire, ou de généraliser le ressenti des enfants qui vivent cette expérience. Mais, malgré le caractère intime de chaque histoire, il y a des points communs dans leur vécu, dans les enjeux auxquels ils vont devoir faire face.
Ils vont entrer dans un processus comparable à celui de deuils : deuil du couple parental, de la vie qu’ils avaient jusqu’alors, de certaines illusions aussi. Ils vont prendre conscience du caractère volatile, temporaire des situations, que rien n’est jamais définitif, acquis.
D’autres sentiments peuvent se superposer à la tristesse. Beaucoup ressentiront de la peur : de l’inconnu, de l’avenir, de perdre le contact avec un parent, d’être oublié dans la future reconstruction familiale,... Pour certains, la colère sera omniprésente : colère que les parents n’aient pas « tout essayé », colère vis-à-vis de celui qui est jugé responsable de tous ces bouleversements, ces désillusions. Parfois, c’est un sentiment de culpabilité qui domine : « Et si j’avais été plus sage, peut-être que papa et maman seraient toujours ensemble …».
Toutes ces émotions se mélangent, d’autres s’y ajoutent (honte, stupeur, surprise…) ce qui colore leur vécu de façon unique.
La séparation remet également en question leur statut, ébranle le sens de leur propre existence. « Si papa et maman ne s’aiment plus, est-ce que moi ils vont continuer à m’aimer ? » Pour un enfant, difficile de comprendre que l’amour que l’on porte à son enfant est différent de celui porté à son conjoint, de faire la distinction entre le niveau parental et conjugal. Cela est d’autant plus compliqué si les parents eux-mêmes ne sont pas en mesure de faire la part des choses. S’ils se critiquent, se dénigrent en présence de l’enfant, celui-ci ne se sent plus autorisé à faire vivre en lui la part de chacun de ses parents, il se vit comme coupé en deux, au risque que son sentiment d’unité se fissure.
Les enfants ont également besoin de donner du sens, de donner une place à cet événement. Replacer la séparation dans un contexte, les aider à l’intégrer dans le fil de leur histoire leur permettra d’avoir un sentiment de continuité. « Que s’est-il passé avant, quelle est l’histoire qui précède », « que se passe-t-il maintenant », « que va-t-il se passer ensuite ». Les récits, la narration seront différents selon leur âge, leurs capacités de compréhension, d’élaboration.
Aux adultes qui entourent ces enfants de prendre le temps de se mettre à leur écoute, sans a priori sur ce qu’ils vivent. Les écouter, vraiment, en se laissant surprendre par ce qu’ils peuvent amener comme réflexions, questions ou émotions. Parler pour faire une pause, s’extraire temporairement du tourbillon frénétique dans lequel ils sont emportés.
Si l’enfant n’est pas encore dans le langage, il est d’autant plus important de prendre le temps d’observer ses comportements, d’assurer la continuité du quotidien (lien avec les personnes ressources, rituels, activités, lieux, objets…), et de mettre des mots simples sur la situation.
Enjeux différents pour parents et enfant
Si, pour les parents, la séparation entraine une coupure relationnelle et l’ouverture à quelque chose de nouveau, pour l’enfant c’est différent. Il va devoir réaménager sa relation avec chacun, apprendre à faire le grand écart entre les deux. Plus les parents se respectent et reconnaissent leur importance réciproque, et moins l’acrobatie sera périlleuse.
A la différence de ses parents qui sont acteurs de ce qui se joue, l’enfant assiste en simple spectateur à la fin de la vie telle qu’il l’a connue jusque-là. Il n’a aucun pouvoir sur ce qui arrive et est soumis à la façon dont ses parents gèrent la situation.
En donnant à l’enfant l’opportunité de prendre de petites décisions sur son quotidien (quel doudou emmener chez papa, quelle photo mettre chez maman,…) cela permet parfois d’atténuer son sentiment d’impuissance.
Enfant instrumentalisé
Quand les parents sont tellement pris dans leurs rancœurs qu’ils n’arrivent plus à faire la part des choses et mêlent l’enfant à leurs histoires, ils ne l’autorisent pas à garder sa place. Certains enfants deviennent le consolateur du parent « abandonné », d’autres sont amenés à prendre des décisions d’adultes, ou sont tellement pris à partie que pour sortir des conflits de loyauté, ils coupent les liens avec un de leurs parents.
En questionnant les parents, trop englués dans leurs difficultés, sur le vécu de leur enfant, cela permet de décaler la situation. En les invitant à imaginer ce que lui peut ressentir, on leur permet parfois de s’extraire de positions rigides.
Un enfant autorisé à faire vivre chacun de ses parents à l’intérieur de lui, est un enfant qui va pouvoir maintenir son sentiment d’unité, autrement dit le sentiment de pouvoir être complètement lui.
Illustration : Quentin Van Gysel