[Texte] Parler de la guerre avec les enfants

Lorsque des événements tragiques surviennent, les parents, éducateurs, enseignants… se demandent comment en parler aux enfants. Que dire ? Comment ? À partir de quel âge ? Chaque adulte s’interroge sur la manière de rassurer l’enfant en étant attentif à ses questions sans les anticiper.

Dans ce contexte, construire une collectivité éducative autour des enfants est particulièrement porteur pour eux. Chaque adulte amène à l’enfant des éléments de compréhension différents, évoque les questions dans la singularité ou dans le collectif… L’enfant profite alors de ces allers-retours entre les différentes sphères de sa vie (l’école, la ou les maisons…) pour construire à son rythme sa pensée, sa représentation du monde dans lequel il est inscrit.

En tant qu’adulte, il est parfois difficile de gérer nos propres angoisses, émotions et du coup de prendre soin des enfants. C’est pourquoi, quand l’impression d’être dépassé nous gagne, il est nécessaire de faire appel à son réseau par exemple les collègues, proches, d’autres structures pour échanger, parler, mais aussi penser ensemble ce qui peut être proposé aux enfants.

Pour un enfant, maintenir la vie dans sa quotidienneté, le travail, l’apprentissage scolaire par exemple est une manière d’assurer une stabilité à son développement. Il s’agit de lui offrir un espace où il peut se concentrer en étant protégé des préoccupations qui ne sont pas les siennes, des tensions familiales, de l’agitation,… Mais cela ne peut être porteur que si l’enfant sait qu’il y a par ailleurs des moments, des lieux où il peut parler, évoquer ses inquiétudes, ses préoccupations propres, alors, l’enfant déjà grand peut postposer.

Saisir les petites et grandes occasions pour parler aux enfants

L’enfant, témoin des conversations des adultes, des autres enfants, voit des images, des vidéos à la télévision, sur les réseaux sociaux, entend les nouvelles à la radio… Se montrer attentif à ses questions, sans les anticiper, en l’interrogeant sur ce qu’il en a compris, en pense ou en ressent, permet à l’enfant de rester acteur de sa pensée et du monde dans lequel il vit. Parfois, un enfant confiera avoir fait un cauchemar à propos de la guerre, l’adulte peut alors saisir cette occasion pour aborder ce sujet avec lui.

Dans ces contextes de guerre, l’accompagnement aux écrans est particulièrement important, comme le JT par exemple : interroger sur les images vues et les programmes regardés, sur le ressenti. Prendre le parti de couper l’information en continu, de limiter les temps d’écran permet également à l’enfant de métaboliser ce qu’il a reçu comme information (par le jeu notamment) et aussi de souffler, rêver et créer.

Les enfants sont de vraies éponges vis-à-vis des émotions des adultes qui leur sont proches et prennent soin d’eux. Ils peuvent être touchés par ce qui se passe dans le monde parfois en ricochet aux émotions, réactions vives ou dépressives des adultes. Dès lors, pour les enfants très jeunes, il pourra être nécessaire de mettre des mots simples pour expliquer que « papa et maman sont inquiets en ce moment, mais ça n’est en aucun cas de ta faute ». Pour les enfants plus grands, cacher nos émotions ne les aide pas à apprivoiser les leurs, à les décoder. Il s’agit plutôt de les « passer au tamis », les filtrer, d’ajuster les mots en fonction de l’âge, la maturité de l’enfant, tout en le rassurant.

Contextualiser à hauteur d’oreilles d’enfant

Lorsqu’on sent les enfants préoccupés par une guerre, un événement tragique, dans un premier mouvement, les laisser s’exprimer sur ce qu’ils en comprennent, ce qui les inquiète, ce qu’ils pensent de la situation est un point de départ pour débattre des grands thèmes de la vie : la vie, la mort, la violence… Un dessin de presse, une chanson offrent également des surfaces de symbolisation qui permettent d’amorcer des discussions, des échanges sur une thématique particulière.

Dans un second temps, si les enfants manifestent de l’inquiétude ou semblent perdus, l’adulte doit pouvoir amener des éléments concrets sur lesquels s’appuyer, par exemple, en montrant une carte, une mappemonde. Ces informations géographiques très précises permettront de circonscrire un conflit à une zone du monde. Des éléments d’histoire peuvent également permettre de placer les événements sur une ligne du temps : le passé, le présent et l’avenir. En retraçant le fil géopolitique et historique, en parlant des origines du conflit, des différences entre les pays (appartenance aux mêmes instances internationales ou non par ex), en parlant des faits, des populations qui se lèvent ou non contre leur gouvernement… on permet aux enfants de sortir de l’émotion brute, de construire leur esprit critique, de nuancer leur jugement qui peut, pendant un temps de l’enfance, être très dichotomique (les gentils et les méchants). Parler ensemble, de manière factuelle, de points concrets, permet d’apaiser l’imaginaire et peut faire barrage aux angoisses qui se manifestent parfois face au chaos d’une situation.

Il n’est pas porteur de rentrer dans des détails qui dépassent les questions des enfants. Rassurer et attirer leur attention sur la solidarité, l’accueil des réfugiés, les revendications et mobilisations pour la paix sont également des aspects essentiels. Cela leur permet d’avoir prise sur la situation, se sentir acteurs pour palier au sentiment d’impuissance qui nous gagne, tous, adultes et enfants, dans ces contextes. Les enfants peuvent agir des actions solidaires si les adultes les y invitent en rassemblant du matériel, des vivres pour les personnes prises dans le conflit, envoyer des dessins, réaliser des chaines humaines qui symbolisent la paix… Expérimenter la solidarité est essentiel. Ces occasions renforcent et soutiennent l’empathie pour une autre communauté humaine. Elles ouvrent la voie pour évoquer les traits de la vie : les mouvements de paix, les liens que l’on peut tisser les uns avec les autres. C’est aussi une opportunité pour aborder des situations quotidiennes de la vie de l’enfant : la violence au sein de la cour de récréation et les conséquences qu’elle a sur les amis…

Parler ensemble

En créant notamment des espaces de parole réguliers, des moments pour échanger, aborder tout ce qui les préoccupe dans leur vie, l’adulte développe une attention soutenue, ajustée et essentielle au développement de l’enfant. Ces rituels coutumiers rassurent les enfants quant à la possibilité d’y déposer leurs questions, leurs préoccupations à leur propre rythme.

En effet, les enfants qui le souhaitent peuvent alors dire comment ils se sentent, ce qu’ils comprennent, ce qui les questionne sans pour autant être obligés de prendre la parole. Ces espaces collectifs sont pensés par l’adulte pour être protecteurs et non invasifs ; le droit de ne rien dire y a sa place. Les enfants, même jeunes, peuvent déposer leurs questions singulières, interroger le sens de « faire la guerre », partager leurs inquiétudes... Avec un groupe d’enfants, il est utile d’avoir en tête que si tel enfant vit dans un contexte familial branché 24h/24 sur l’actualité, tel autre enfant en sera totalement déconnecté par choix parental notamment. Pour certains, le conflit paraitra loin, alors que d’autres y seront très sensibles voire y seront concrètement confrontés par la présence de réfugiés dans leur quartier, leur école, leur famille.

Dans les lieux collectifs, comme les écoles, ouvrir régulièrement des espaces pour parler (indépendamment de ce qui se passe dans l’actualité) permet aux enfants d’évoquer les petits et grands soucis de leurs vies. Les inviter à s’exprimer sur tout sujet qui les préoccupe, sans présager de ce qui constitue un motif d’inquiétude pour eux, est essentiel. Cela leur montre que des adultes sont disponibles, à leur écoute, et qu’ils n’ont pas peur de prendre à bras le corps leurs questions. Tous les sujets peuvent être évoqués, personne ne doit rester avec des choses lourdes sur le cœur, les adultes sont là, présents, pour aider les enfants à grandir.

Penser ensemble

Contre le chaos, il n'y a pas d'autres armes que celles de la pensée, de la dignité, de l'attention à autrui, de la construction démocratique permanente, le travail de la culture… L'homme gagne son humanité en évitant d'être emporté par ses émotions grâce à sa capacité de penser par (à) lui-même, à l’autre et au monde qui l'entoure.

L'école ainsi que les associations qui accueillent les jeunes sont des lieux où l'on cherche à comprendre, où l'on apprend à penser ; y compris dans les limites de l'impensable. Telle est la responsabilité de l'éducateur. Les événements dramatiques sont chaque fois des occasions de penser ensemble à de nombreux thèmes au fil des questions et sans les devancer : Pourquoi la guerre existe ? Quelle est la frontière entre le bien et le mal ? Il pourrait y avoir la guerre ici ? Qui sont les « gentils », qui sont les « méchants » ? Pourquoi y a-t-il de la violence ? Quelles réponses donner ? Impossible de les tracer au cordeau, on peut juste penser ensemble en sachant qu'il n'y a pas de « maître de l'univers », seulement des humains qui tentent de faire de leur mieux dans un monde où, hélas, il y a des catastrophes, des accidents, des pandémies, des guerres. Depuis l'aube des temps, les hommes ont à la fois cherché à s'en prémunir mais également ont été amenés à vivre avec ce réel, le ciel qui peut tomber sur la tête malgré la potion magique. Reconnaître cette part de non-maîtrisable et faire entendre à l'enfant qu'il y a moyen de vivre avec, c'est également l’aider à grandir.

Jouer, dessiner, créer… pour comprendre le monde

Les enfants n’ont pas toujours les mots pour exprimer ce qu’ils ressentent. Parfois même ils ne comprennent pas vraiment leurs émotions, ce qui les traverse… Leur offrir des moments, des espaces, du matériel pour jouer, dessiner, écrire des textes, des poèmes… est essentiel pour les aider à grandir. Grâce au jeu, au dessin, les enfants se « débarrassent » en quelque sorte de ce qui les encombre, ils déposent leurs émotions, donnent formes et couleurs à leurs ressentis. Si les enfants jouent à la guerre dans la cour de récré par exemple, c’est parce qu’ils saisissent là une occasion pour élaborer leurs questions, éprouver leurs sentiments. La tâche de l’adulte, alors consciemment en retrait, consistera à garder une attention vive afin de vérifier que les règles ne débordent pas : de veiller à ce que tous les enfants soient consentants, qu’ils restent dans le symbolique du jeu… Jouer aide à grandir, à comprendre le monde, à créer, à apprivoiser ses peurs, à se construire…

Illustration : Quentin Van Gysel 

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