[...] Faute de tiers, il n’y a plus d’écart pour penser le monde, et les adolescents doivent négocier seuls avec l’archaïque en eux qui fait retour explosif sur la scène du social. Ils tentent de se délester de cette part d’ombre qui les déborde. Et, pour peu que la flambée pubertaire survienne sur fond de désintégration du lien familial et social, l’adolescent à la dérive revit ses terreurs d’abandon, tout en revendiquant son indépendance. Dans ce méli-mélo d’amour et de haine, d’appel et de rejet, la traversée adolescente, si elle n’est pas soutenue par des relations stables et fiables, ressemble alors à un jeu de massacre, un enjeu d’existence toujours aux limites de l’inexistence. Alors ils se jettent à l’aveugle dans le vide de leur vie. Une rage de vivre, qui en passe par le flirt avec la mort, la mort, appelée pour mieux être maîtrisée, convoquée pour mieux être éloignée jusqu’à ce que les plus fragiles y sombrent pour de bon. Défier la mort pour se prouver qu’on est vivant, c’est le rêve de toute-puissance là où ils souffrent de leur impuissance. Leur escalade vient court-circuiter l’angoisse, et leur violence sous pression fait reculer le temps de la dépression. [...]
in Danièle Epstein, Ensauvagement du monde, violence des jeunes, p 41, Temps d'arrêt, décembre 2020