Un entretien avec Serge Tisseron (03:36), psychiatre et psychanalyste
Internet offre un merveilleux espace de communication, d’écoute et de confidences. Serge Tisseron, psychiatre, psychanalyste spécialisé dans la question des images et des médias voit dans l’anonymat sur Internet une possibilité pour chacun d’explorer une autre façon de se présenter aux autres et par là de renforcer l’image de soi.
Les blogs, forums, chats…proposent des espaces pour extérioriser des fragments de son intimité non encore validés auprès des autres.
Serge Tisseron parle de désir d’extimité qui désigne le fait d’extérioriser des fragments de soi, de proposer, à des interlocuteurs inconnus voire connus, des aspects de son intimité dont la valeur n’est pas encore reconnue. Ce qui participe au développement psychique.
Alors que l’exhibitionnisme, peu présente sur la toile selon S. Tisseron contrairement à la croyance véhiculée, consiste à montrer aux autres des aspects de soi dont on sait qu’ils vont les captiver. L’exhibitionnisme comporte une dimension pathologique.
Au malaise attribué à l’anonymat sur Internet vu généralement comme une invitation à l’irresponsabilité, l’ excès, l’abus et à la tromperie Serge Tisseron y oppose donc les bénéfices bien plus réels d’un besoin d’extimité qui soutiennent la construction de l’estime de soi.
Dans son livre L’intimité surexposée, 2001, Serge Tisseron écrit : « Je propose d'appeler "extimité" le mouvement qui pousse chacun à mettre en avant une partie de sa vie intime, autant physique que psychique. Ce mouvement est longtemps passé inaperçu bien qu’il soit essentiel à l'être humain. Il consiste dans le désir de communiquer sur son monde intérieur. Mais ce mouvement serait incompréhensible s'il ne s'agissait que "d'exprimer". Si les gens veulent extérioriser certains éléments de leur vie, c'est pour mieux se les approprier en les intériorisant sur un autre mode grâce aux échanges qu’ils suscitent avec leurs proches. L'expression du soi intime - que nous avons désigné sous le nom "d'extimité" - entre ainsi au service de la création d'une intimité plus riche. Cette opération nécessite deux postures psychiques successives. Tout d’abord, il nous faut pouvoir croire que notre interlocuteur partage le même système de valeurs que nous. (…) Autrement dit, (…) il nous faut d'abord identifier cet autre à nous-mêmes. Mais, sitôt la dynamique de l'extériorisation de l’intimité engagée, l'interlocuteur qui nous renvoie quelque chose n'est plus un double de nous-mêmes. Pour accepter son point de vue et commencer à nous en enrichir, il nous faut maintenant nous identifier à lui. Ce mouvement a toujours existé. (Il est réalisé) à la fois avec des gestes, des mots et des images. Ces constructions ne sont pas forcément conscientes ni volontaires. Elles relèvent d'une sorte "d'instinct" qui est le moteur de l'existence, aussi bien du point de vue psychique individuel que des liens sociaux. En revanche, ce mouvement a longtemps été étouffé par les conventions et les apprentissages. Ce qui est nouveau, ce n'est pas son existence, ni même son exacerbation, c’est sa revendication et, plus encore, la reconnaissance des formes multiples qu'il prend. (…)Les pratiques par lesquelles le soi intime est mis en scène dans la vie quotidienne ne revêt pas une seule forme, mais trois : verbale, imagée et corporelle. »