L’hyperactivité de l’enfant existe-t-elle vraiment en tant qu’entité clinique spécifique ou n’est-elle qu’une construction sommairement échafaudée pour excuser la prescription de Rilatine à des enfants dont le comportement perturbateur dérange l’adulte ? Cette question est posée par un nombre croissant de professionnels.
La Rilatine est une amphétamine excitant le système nerveux central. Elle a un effet paradoxal sur certains enfants : au lieu de les exciter, comme le font habituellement les amphétamines, elle les apaise. Ce n’est pas un médicament banal. Pour se positionner quant à la nécessité de le prescrire, il faut prendre en compte le fait qu’il y a probablement autant d’instabilités que d’enfants instables. Ceux-ci sont regroupés sous le label d’enfants hyperactifs ou souffrant de TDAH (Trouble Déficitaire de l’Attention avec Hyperactivité), alors qu’il s’agit d’enfants très divers quant à leur fonctionnement intrapsychique et leur relation aux autres, bien que présentant en surface le même fameux triptyque : hyperkinésie, inattention, impulsivité.
Il s’agit d’enfants incapables de rester en place et d’obéir, toujours en mouvement, rejetés par l’école, voire par leurs camarades. Leurs parents sont également en détresse : ils arrivent épuisés, démoralisés et ont terriblement besoin d’aide. Et vite ! Et c’est ce « vite » qui fait la différence. Aujourd’hui les parents se posent souvent de très bonnes questions sur le sens des difficultés de leurs enfants et il faut reconnaître que parfois les services de santé mentale, pédopsychiatres ou psychothérapeutes ont des listes d’attente, nécessitent du temps ou peuvent être coûteux. La tentation est grande alors de renoncer à l’approche psychopathologique sous la pression des laboratoires pharmaceutiques, auxquels s’aliènent malheureusement non seulement de nombreux médecins mais également d’autres professionnels, scolaires notamment, parfois poussés par les instituteurs qui ne savent pas comment gérer les troubles de conduites de plusieurs enfants par classe.
Que dit l’agitation ?
D’abord, l’agitation d’un enfant peut être naturelle, « normale ». En effet, le propre de l’enfance est d’être curieux de tout, d’exprimer sa joie de vivre de façon remuante et désordonnée et l’activité motrice est source de plaisir, un moyen d’action sur le monde, un des vecteurs de réalisation personnelle. Elle est une condition préalable aux représentations et à la mentalisation. Tout ce qui a trait au jeu - dont on sait l’importance décisive dans la construction psychique - en dépend.
De plus, entre 2 et 5 ans, l’instabilité est normale : l’expérience du mouvement, du déplacement permet au jeune enfant d’écouler son excitation interne liée à la découverte du monde. Le petit enfant sent très rapidement qu’il peut faire ce qu’il veut avec une motricité au service de ses désirs. C’est là que le parent doit lui signifier que les muscles ne peuvent pas servir à une action qui n’est pas socialement acceptable. Si l’enfant ne rencontre aucune limite éducative et donc aucune expérience de contenance pulsionnelle, il peut rester bloqué dans cette phase de son développement et demeurer instable à l’école primaire. Pour d’autres enfants, l’agitation est pathologique parce qu’elle constitue le reflet de diverses blessures psychologiques. Elle devient un symptôme. Des adultes déprimés aussi se noient parfois dans l’action…
Parmi les enfants étiquetés comme hyperactifs, un certain nombre sont déprimés ou ont été pris dans un fonctionnement familial insécurisant au début de leur vie. De multiples problèmes familiaux peuvent en être la cause : l’instabilité de l’un des parents, un deuil, la présence d’interactions précoces violentes, incohérentes ou carencées, une discontinuité des relations, une dépression maternelle profonde lors de la première année de vie…
Il peut s’agir aussi d’enfants soumis à un forçage éducatif par les parents, dont l’origine est souvent à mettre en rapport avec des difficultés d’apprentissage. Ce forçage amène l’enfant à répondre secondairement en réaction aux adultes au lieu d’être en relation avec ceux-ci.
Ces enfants se sont construits des défenses par l’agitation. Ils ont envie de montrer qu’ils sont vivants. S’il n’est pas question d’incriminer les parents, qui se seraient bien passés d’aller mal, ils sont néanmoins responsables de l’éducation de leur enfant. Il est dès lors indispensable de les soutenir et de travailler avec eux sur leur enfance, leur histoire personnelle et sur les projections dont leur enfant a pu faire l’objet, sur le développement de celui-ci depuis sa naissance et le fonctionnement familial en tenant compte du contexte social.
Enfin, un nombre très restreint de cas concerne des enfants pour lesquels on ne trouve aucune causalité malgré des entretiens familiaux et individuels répétés et prolongés dans le temps. Maurice Berger désigne leur instabilité comme neuro-développementale et nécessitant un traitement médicamenteux, à condition que celui-ci ne soit pas utilisé dans un but de forçage (« Tiens-toi tranquille ») mais parce qu’il peut aider l’enfant à récupérer lui-même une certaine continuité de pensée, laquelle favorisera également le travail psychothérapeutique. Dans ces rares cas, les traitements médicamenteux peuvent parfois être utiles, mais toujours en association avec une démarche psychothérapeutique.
L’attention des professionnels
Les professionnels sont donc appelés à la plus grande vigilance, parce qu’il ne serait pas acceptable que des enfants, sous des prétextes divers, se voient prescrire des psychostimulants dans un contexte sociétal de plus en plus dominé par la recherche de résultats immédiats, de performances. Ce qui entraîne l’illusion d’un traitement à visée purement comportementale et médicamenteuse qui serait moins coûteux, plus rapide et plus tentant que le nécessaire et douloureux effort d’élaboration psychique des comportements avec les remises en cause qu’il ne manque pas d’impliquer. L’enfant n’est alors pas aidé et ses difficultés ressurgiront plus tard.
Il faut toujours se demander si l’agitation de l’enfant ne reflète pas son simple débordement d’énergie et l’intolérance de son entourage. Ensuite il faut prendre le temps d’écouter les parents et l’enfant, de retracer leur histoire et de comprendre ce que l’enfant veut dire avec toute cette agitation. Si un traitement s’avère nécessaire, il faut se souvenir qu’un traitement médicamenteux est souvent inutile voire potentiellement générateur d’effets secondaires et qu’en tout cas il ne peut remplacer une prise en charge relationnelle à visée psychothérapeutique de l’enfant et de sa famille, sans oublier le lien avec l’école.