Tous les adultes

«Il faut tout un village pour éduquer un enfant».
Et si on se sentait tous responsables des enfants qui nous entourent? Si on se disait que chaque rencontre avec un enfant est une occasion d'échanges, de partage ?

Quand la situation se dégrade entre un enfant et son entourage, il est d’autant plus important que des personnes extérieures puissent intervenir pour donner de l’espace, de l'air à chacun. En étant extérieur à la situation, nous pouvons plus facilement entrer en relation avec l’enfant. Nous lui donnons l’occasion d’expérimenter une relation plus simple, sans véritables enjeux avec un adulte. Si nous nous intéressons à l’enfant sans apriori sur lui, en choisissant de nous faire notre propre opinion, nous serons probablement plus à son écoute, et plus respectueux de qui il est vraiment. Petit à petit si l’enfant retrouve un peu de confiance en lui et en l’adulte et se sent à nouveau valorisé, il est probable que les relations avec l'enseignant ou ses parents s'améliore.

A l’heure actuelle, on observe deux tendances opposées... entre l’enfant qui a son mot à dire sur tout et celui qui n’a son mot à dire sur rien…

Place de l’enfant : ni trop...
"On n'a pas le droit d'enlever son enfance à un enfant"

Dans la société, circule une image de l’enfant « adulte miniature » doté de capacités de réflexions très matures. Conséquence : on agit parfois comme s’il comprenait aussi bien que nous les exigences de la vie en groupe, qu'il savait de manière innée ce qui est bon pour lui et donc de prendre les décisions qui le concernent. Il n’est pas rare que l’enfant donne son avis sur l’heure du coucher, sur la future destination de vacances ou même sur la personne avec qui il voudrait vivre en cas de séparation. En le considérant comme un adulte, on nie les différences générationnelles. « L’enfant est dans un rapport d’égal à égal avec ses parents, en apprenant que tout est négociable, il découvre une humanité sans passé ni règles préétablies ».

« Etre parent c’est écouter puis décider »

En lui demandant son avis, on fait sentir à l’enfant qu’on est à son écoute, que son avis compte et qu’on le respecte… Mais n’oublions pas que l’insouciance est le propre de l’enfance, et que décider est de notre responsabilité.

La place occupée par l’enfant étant centrale dans un grand nombre de familles, les parents ont de plus en plus peur d’imposer leurs règles et de mettre des limites. Ne pas frustrer l’enfant pour que sa vraie personnalité puisse émerger sans influence extérieure.

L’éducation d’aujourd’hui ne consiste plus à le faire devenir grand (son souhait fondamental) mais à faire émerger son « devenir lui ».

Or, pour grandir, l’enfant a besoin d’être maintenu à sa place d’enfant pour devenir un adulte responsable. Il a besoin que les adultes lui apprennent les règles du vivre ensemble, lui fassent sentir qu’il appartient à une société. Ce sont ces apprentissages au quotidien qui lui permettront de vivre en société. Cela lui permettra également de composer avec des personnes qui pensent et agissent différemment. Un enfant qui grandit sans limites, négocie tout et tout le temps risque tôt ou tard d’avoir des difficultés à gérer la frustration.

« Pourquoi je peux pas : Parce que! »
Le revers à la médaille de la valorisation de l'enfant est que certains parents oublient que les frustrations, les refus, le "non" sont essentiels pour son développement.



Place de l’enfant : ni pas assez....

Dans les années 50, la norme voulait que l’enfant soit considéré comme un petit être sur lequel ses parents, et en particulier le père, avait toute autorité. Les adultes ne tenaient pas compte de sa parole car il n’était pas considéré comme un être humain ayant des capacités cognitives et réflexives suffisantes.

Cette vision de l’enfant a été balayée avec l’émancipation de la femme, la remise en question de la place de l’homme et surtout les découvertes sur les capacités des enfants. Les théories sur le développement (Piaget, Dolto…) ont contribué à la modification du statut de l’enfant.

Toutefois, par imitation de l’éducation reçue, ou par opposition aux mouvements de ‘non frustration des enfants’, liberté totale… certains sont devenus très stricts. Ils laissent peu de place à la parole de l’enfant, à ses désirs. Par peur d’en faire des enfants rois, par manque d’autres modèles ou par conviction, ils brident leurs enfants. L’enfant va alors gesticuler là où il peut pour sentir qu’il existe, qu’il vit en dehors de ce qu’on lui plaque comme règles et comme silence.

Quand on est confronté à une situation difficile avec un enfant, et quel que soit notre rôle auprès de lui (grand-parent, prof, tonton, animateur…), en parler avec d’autres est essentiel. En effet, la collaboration entre les personnes concernées par l’enfant est souvent enrichissante. En discutant, on se rend compte que tout le monde ne partage pas notre vision de lui. On peut nuancer l’image figée et parfois simpliste qu’on s’est faite de lui (il est plus difficile mais il est aussi sensible, créatif…).

Entendre d’autres points de vue peut redonner l’élan de réinvestir vraiment la relation, de prendre le temps de renouer le contact en partageant ensemble des moments agréables (jouer, faire de la musique...).

Un enfant a besoin des adultes pour survivre, pour vivre, pour se construire... Très tôt il nous imite, prend exemple, et c’est cela qui va lui permettre de grandir. Imitations en ce compris les insultes, les gros mots, les gestes parfois déplacés… « Ne soyons pas bêtes, nos enfants nous singent… »

Transmettre…comment ?

Et si transmettre, c’était d’abord faire preuve de cohérence entre la parole et les actes? Respect de l’environnement, des autres, de la loi ? Certes, les gouvernements doivent agir, mais prenons aussi nos responsabilités : Trier, jeter les déchets, ne pas gaspiller, prendre les transports en commun, ne pas insulter les autres automobilistes, les profs, respecter les feux rouges… montrer l’exemple.

Transmettre, oui… mais quoi ?

Les valeurs auxquelles chacun de nous croit : l’échange, le partage, la solidarité... Faire sentir aux enfants que, s’ils sont uniques et que nous tenons compte de leur individualité, être un humain c’est avant tout partager une société. Les valeurs comme la créativité, l’épanouissement personnel, l’autonomie sont de belles valeurs quand elles sont articulées à des valeurs collectives qui permettent de vivre ensemble.

Transmettre c’est aussi inscrire l’enfant dans une histoire : oui tu es toi, mais tu es aussi le fils de… le petit-fils de… Le besoin de filiation est fondamental pour un enfant et pour tout un chacun, savoir d’où l’on vient, c’est cela qui permet de se construire et de peu à peu voler de ses propres ailes.

Aujourd’hui, notre société vit dans le présent, tout est question de réactivité, d’instantanéité, tout est constamment en mouvement, tout est à faire, à réinventer, le passé est devenu un concept dépassé… Les albums photos ? Remplacés par les smartphones, et autres ordinateurs, dans lesquels les photos sont rarement triées et encore moins commentées… Mais comment donc l’enfant peut-il comprendre le fil de son histoire, sa temporalité si rien n’est relié à rien ?

L’histoire, avec un grand « H », est elle aussi à enseigner, qu’ils puissent comprendre comment la société dans laquelle ils vivent s’est construite, quels liens les unissent.

Panne de transmission, enfants en perdition ?

En tant qu’adultes, nous avons la responsabilité vis-à-vis des enfants et des ados de leur faire sentir qu’ils appartiennent à une famille et plus largement à une société et surtout d’être des exemples. Discuter avec eux des sujets importants tels que les choix, les douleurs, les joies, l’amour… pas de façon théorique mais surtout en référence à nos propres expériences. Pourquoi c’est ta maman que j’ai choisie, pourquoi on a eu envie d’avoir un bébé, moi aussi j’ai fait des erreurs, je n’ai pas toujours fait les bons choix… Sans entrer dans notre sphère intime (sexualité, conjugalité…), nous devons pouvoir parler de qui on est, de nos faiblesses, de nos réussites, de nos échecs…

Si personne ne tient ce rôle de passeur, d’exemple, si on fait l’erreur de penser que les enfants ne s’intéressent pas au passé, à notre passé, à ce qui fait de nous des humains, ces derniers courent le risque d’être perdus, condamnés à l’errance, ne sachant pas vers qui se tourner pour connaître la route à suivre pour devenir des adultes.

Une fois ado, comment remettre en question la parole des adultes, comment s’insurger contre des modèles, des valeurs, pour s’individualiser si personne n’en a inculqué, si on ne leur dit rien du passé, si on leur laisse penser qu’ils peuvent tout réinventer en se contentant « d’être eux-mêmes » ? Contre qui s’opposer pour s’affirmer et pouvoir comprendre qui on est, si on s’est auto-construit ?

Dur de limiter dans une société qui ne soutient à aucun niveau la position limitante
L'enfant qui s'ennuie est obligé de penser, de créer, de se mettre en mouvement.
Ne rien faire, c’est super…

Aujourd’hui, les enfants pratiquent souvent plusieurs activités en dehors de l’école. En les inscrivant dans des clubs sportifs, des académies de musique ou d’art, on leur donne la possibilité d’exprimer toutes leurs potentialités. Ce qui leur offre de belles opportunités de se découvrir, de développer leur personnalité... Mais les enfants ont-ils encore le temps de s’ennuyer ?

Avoir le temps de s’ennuyer est une chose, mais qu’on leur en laisse l’opportunité en est une autre. A la célèbre phrase « Je m’ennnnuuuiiiiie », on a tendance à chercher à combler ce vide, à trouver une activité, à leur proposer un jeu, leur allumer l’ipad, l’ordi ou la télé…

Or, ces moments d’ennui sont nécessaires pour que les enfants aient le temps de rêver, de développer leur monde intérieur, leur imaginaire, leur curiosité, l’envie d’apprendre, de faire naître le désir, l’élan nécessaire à leur rencontre avec les autres...

Lorsqu’un enfant n’a jamais appris à faire face au vide par lui-même, le risque est qu’une fois ado, il ait besoin de l’extérieur (alcool, sexe, drogue,…) pour pallier à l’angoisse de ce vide.

Mais pourquoi le vide et l’absence de toute activité sont-ils devenus aussi pénibles à supporter pour une grande majorité d’entre nous et de nos enfants ?



« Le délai n’existe plus, et c’est cet état d’immédiateté du monde de la technologie qui fait référence pour juger tous les autres délais de la vie pour ce qu’ils apparaissent désormais : insupportables »

Comment les laisser grandir à leur rythme quand tout autour d’eux s’accélère. Marcher, parler, rêver, apprendre… prend du temps. Le temps des enfants est différent de celui des adultes. « Allez, il serait plus que temps que tu sois propre, que tu manges tout seul… ». Nous avons désormais le plus grand mal à supporter l’attente, le délai. Comment leur laisser le temps de grandir si nous avons cette exigence du tout, tout de suite ? Quel rapport au temps les enfants d’aujourd’hui vont-ils intégrer si les adultes qui les entourent sont dans cette course permanente, cette frénésie du toujours plus vite ?

Un enfant apprend à postposer ses désirs, à les répartir dans le temps, à les négocier en expérimentant l’attente. C’est dans cet intervalle qu’il va imaginer, élaborer, qu’il va développer des capacités de création (à travers ses jeux, dessins, langage...) capacités indispensables pour être au monde et non pas dans un perpétuel besoin d’agir le monde (suractivité, mouvement perpétuel…).

Aujourd’hui, certains enfants ne sont plus capables d’élaborer tellement ils sont emportés par le rythme des adultes, et dans un univers scolaire, lui aussi de plus en plus exigeant, et qui ne laisse parfois que peu de temps à la maturation psychique.

La course ou la vie ?

Dans la vie quotidienne aussi, nous sommes pris dans un tourbillon dans lequel nous les emportons. « Debout. Dépêche-toi on va être en retard…». Bien sûr, nous sommes tenus à des horaires, des contraintes qui ne nous laissent pas toujours le choix, mais pensons à prendre le temps chaque fois que nous en avons l’occasion.


« Je m’appelle pas grouille tes puces »

En partageant ce point de vue, on ne fait rien pour améliorer la situation et la probabilité est alors grande que la prophétie se réalise.

Au contraire, envisager que l’enfant est difficile sans lui coller cette étiquette, sans l’emprisonner dans un diagnostique clinique, lui donne l'opportunité d’évoluer, de grandir, de faire émerger tout son potentiel.

Les comportements de l’enfant difficile n’ont pas d’explication unique, ils sont le fruit d’une multitude de facteurs en interactions les uns avec les autres. Et c'est une bonne nouvelle. En effet, cela permet d'agir à différents niveaux. Par exemple, un enfant trouve à travers le théâtre une nouvelle façon de s’exprimer, il reprend peu à peu confiance en lui, il retrouve une place. Cela peut être transposable à d’autres contextes (à l’école, à la maison…). En réalité, il s’agit de créer de nouvelles situations qui permettent à l’enfant d’expérimenter, de découvrir, de se remettre en mouvement, de s’engager, de grandir.

Essayer, si ça ne marche pas, recommencer, tenter autre chose, oser, être créatif…c’est aussi ça être un adulte.

« Ce sont les enfants dont la société désespère qui ont le plus de risque de devenir désespérés et, par la même, désespérants »
Les étiquettes occultent les compétences de l'enfant et le réduisent à ses comportements problématiques

« Le pire n’advient pas s’il n’est pas figé, inculqué dans l’identité de l’homme (et de l’enfant) par des stéréotypes de langage, des contradictions enchevêtrées, des fonctionnements non interrogeables. L’homme ne reproduit pas le pire par lui-même. Lorsqu’il a accès à l’expérimentation de la liberté, à un agir politique, lorsqu’il s’autorise à parler et à écouter, lorsqu’il peut donner et recevoir, faire un pas de côté sans décevoir, l’homme ne se laisse pas enchaîner à la fatalité »
Hannah Arendt

En considérant que les comportements passés et actuels de l’enfant prédisent ses comportements futurs, on l’enferme : « Les gens ne changent jamais vraiment ». Cette vision fixiste du développement ne laisse pas à l’enfant la chance de montrer qu’il peut agir différemment, évoluer et mûrir.

Nos croyances à propos des autres influencent la façon dont on va agir avec eux. En retour leurs comportements vont être différents. Si on est gentil avec quelqu’un, la probabilité qu’il fasse preuve de gentillesse est plus grande que si on se montre méfiant ou agressif.

Si un enfant a la réputation d’être difficile, que tout le monde s’en plaint, quand on le rencontre on est influencé par cette étiquette. On va agir avec lui d’une manière particulière. On risque d’interpréter différemment ses comportements, de se dire qu’il est difficile donc qu’il n’y a rien à faire. Si personne ne croit en lui et ne fait le pari qu’il peut être autre chose que cet enfant difficile à supporter, le risque que ses comportements n’évoluent pas est réel.

De plus, les enfants ont tendance à agir conformément à ce que les autres attendent d’eux. Si on répète continuellement à un enfant que lui c’est le colérique, qu’il ne fait que piquer des crises, il risque de continuer à agir comme cela.

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